On se demande où l'éditeur est allé chercher un titre pareil alors que le titre original est "Self comes to Mind. Constructing the conscious Brain" que l'on pourrait traduire par "Quand le Soi vient à l'Esprit. La conscience du cerveau se construit". La question de l'altérité au moi, n'ai jamais posé. Ce n'est pas le sujet du livre contrairement à ce que le titre semble suggérer. Il traite de la manière dont la conscience apparait à partir du cerveau. Il date de 2010.
L'un des points le plus intéressant de ce livre se situe en deçà même de la conscience. En fait on ne comprend pas le problème que pose la conscience tant qu'on s'imagine que tous nos choix seraient le fruit d'une délibération consciente. Nous avons tendance à imaginer que ce qui ne relève pas de la conscience relève d'un déterminisme implacable et que seul celui qui dispose d'une conscience souveraine serait absolument libre. A. Damsio dit exactement le contraire:
"Longtemps avant que les créatures vivantes aient un esprit, elles faisait preuve de comportements efficients et adaptatifs ressemblant en tout point à ceux qui se manifestent chez les créatures dotées d'un esprit conscient. Nécessairement, ces comportements n'étaient pas causés par l'esprit, et encore moins par une conscience. (...) Il s'avère que les créatures vivantes dépourvues de tout cerveau, si on descend jusqu'aux cellules uniques, ont également un comportement qui paraît intelligent et finalisé"
Alors que nous avons tendance à croire que les questions axiologiques relèvent d'un régime délibératif conscient, la question des valeurs se
jouent déjà sur le plan de la biologie.
"Le bien le plus essentiel pour tout être vivant, à n'importe quel moment, c'est l'équilibre des chimies corporelles compatibles avec une vie en bonne santé. Cela s'applique aussi bien à l'amibe qu'à l'être humain" (...) La notion de survie - et par extension, celle de valeur biologique - peut s'appliquer à diverses entités biologiques, des molécules aux gènes et aux organismes tout entiers."
Ce qui nous différencie des plantes et qui explique l'apparition des neurones dont nous disposons est le mouvement. A. Damasio n'ignore pas le tropisme dont font preuve les plantes mais les plantes ne peuvent se déraciner
"La tragédie des plantes - mais elles l'ignorent- tient au fait que leurs cellules corsetées ne pourraient jamais modifier suffisamment leur configuration pour devenir des neurones. Elles n'ont pas de neurones et donc pas d'esprit."
Le fait de ne pas avoir d'esprit n'empêche pas que les stratégies de réponses touchent "aux mécanismes sous-jacents à ce que, de notre pont de vue humain nous en sommes venus à appeler récompense et punition."
"Notez bien qu'aucune de de ces opérations ne requiert un esprit, et encore moins un esprit conscient. Il n'y a pas là de sujet formel, dans l'organisme ou en dehors qui se comporterait comme un "recompenseur" ou un "punisseur" (...) Toute l'opération est aussi aveugle et "a-subjective" que les réseaux de gènes eux-mêmes. L'absence d'esprit et de soi est parfaitement compatible avec une "intention" et un "but" implicites et spontanés. L'intention de base est de préserver la structure et l'état, mais un "but" plus général peut être déduit de ces intentions multiples: survivre."(...) "Les mécanismes d'incitation et l'orientation ne résultent pas d'une détermination et d'une délibération conscientes"
Ceci explique notre ressenti de jardinier quand nous nous occupons bien de nos plantes, nous avons le sentiment qu'elles se sentent récompensées des fruits qu'elles nous offrent et nous mêmes nous nous sentons récompensés lorsque nos plantes sont en bonne santé et que leurs fruits sont savoureux. Elles n'ont pas besoin d'un esprit ni d'une conscience pour sentir notre bienveillance à travers le soin que nous leur portons pour qu'elles survivent.
Il importe de comprendre ce premier stade de la vie pour bien comprendre que la conscience ne vient pas s'établir en rupture sur ce mode de fonctionnement inconscient mais vient s'y ajouter presque de manière facultative.
"Les fondements des processus conscients sont ainsi les processus non conscients qui sont chargés de la régulation de la vie - c'est à dire les dispositions aveugles qui régulent les fonctions métaboliques et sont abritées par les noyaux du tronc cérébral et l'hypothalamus ; les dispositions qui délivrent récompenses et punitions, et développent pulsions, motivations et émotions ; enfin l'appareil cartographique qui fabrique les images, dans la perception et le ressouvenir, et peut les sélectionner et les monter pour former ce film qu'on appelle l'esprit"La conscience apporte une dimension réflexive qui permet à l'organisme d'être au fait de son état. La conscience tient donc du passage de la régulation à la délibération qui devient de plus en plus grand.
"En conclusion, ce qu'on entend par délibération consciente a peu à voir avec l'aptitude à contrôler nos actions sur le moment et tout avec celle qui consiste à planifier à l'avance et à décider quelles actions nous voulons ou non effectuer". (...) "les décisions concernant le comportement moral impliquent une délibération consciente et prennent un long moment. De plus, de telle décisions sont traités dans un espace mental déconnecté et à l'écart de la perception extérieure" "C'est précisément le type d'accomplissement qui contredit l'idée selon laquelle la conscience serait un épiphénomène inutile, un ornement sans lequel le cerveau pourrait assurer sa tache de gestion de la vie tout aussi efficacement et sans histoire"
Autrement dit pour gérer la vie au quotidien, nous n'avons pas besoin de délibérer consciemment en permanence. En revanche, pour savoir ce que nous voulons ou pas, il nous faut nous déconnecter de ce quotidien pour en prendre conscience afin de pouvoir agir sur celui-ci. Une fois que nous avons délibéré nous pouvons à nouveau faire confiance à nos mécanismes non conscient pour suivre avec vigilance ce que nous avons décidé. Ou comment parler de la méditation sans en prononcer ce mot.
A. Damasio s'appuie sur une expérience fort intéressante d'un psychologue néerlandais Ap Dijksterhuis "On making the right choice : The deliberation-without-attention effect" publié dans science en 2006
"Les processus inconscients sont capables d'une forme de raisonnement qui est bien plus puissante qu'on ne le croit en général et que si celle-ci a été convenablement formée par l'expérience passée et si on a peu de temps, elle peut donner des décisions bénéfiques"
Si l'enjeu du livre c'est l'émergence de la conscience et par conséquent la conscience de soi. On peut se demande en quoi consiste ce soi. Ce soi est lié à la cartographie du corps qu'effectue le cerveau pour maintenir l'homéostasie mais aussi pour donner une perspective.
"L'une des curiosité propres à notre conscience d'un objet tient à la relation ténue que nous établissons entre les contenus mentaux qui décrivent cet objet et ceux qui correspondent à la partie du corps engagée dans la perception concernée. " p240 "Il ne s'agit pas d'un simple "point de vue" (...) mais nous avons aussi un point de référence pour les sons du monde extérieur, un point de référence pour les objets que nous touchons(...) les portails sensoriels près desquels les données les donnés servant à former les images sont rassemblées offrent à l'esprit le point de référence d'après lequel l'organisme se situe par rapport à un objet. Il dérive de l'ensemble des régions corporelles dont proviennent les perceptions. Ce point de référence n'est rompu que dans des conditions anormales (expériences extracorporelles) qui peuvent résulter de maladies neurologiques, d'un traumatisme psychologique ou de manipulation expérimentales utilisant des procédés de réalité virtuelle"p242
C'est donc dans ce passage que sont évoqués les fameuses OBE. Une note renvoie à un article publié dans la revue Science en 2007 qui s'intitule : Video ergo sum: manipulating bodily self-consciousness. (Lenggenhager B1, Tadi T, Metzinger T, Blanke O.)
On en trouve un compte rendu dans courrierinternational
"A l’aide de technologies de réalité virtuelle, deux équipes de scientifiques, dont l’une à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), ont en partie reproduit cette sensation en laboratoire. Leurs travaux, publiés aujourd’hui dans la revue Science, contribuent à expliquer un phénomène longtemps attribué à l’imagination ou au paranormal. Ils permettront d’étudier sous un jour nouveau le concept encore mal défini de conscience de soi."Cette phrase laisse entendre que les OBE ne relèverait ni du paranormal ni de l'imagination.
"Le professeur en convient, ces travaux ne simulent pas encore une décorporation complète (OBE) ; aucun des sujets ne décrit d’ailleurs ce qu’il a vécu comme tel."(...)"“Toutefois, la plupart des sujets ont, durant l’expérience, localisé leur ‘moi’ à un autre endroit que dans leur corps, puisqu’ils n’ont pas regagné exactement leur position d’origine.” (...) " “D’après nos résultats, le cerveau est fortement impliqué dans le fait que chacun ressent que son ‘moi’ est situé dans son corps. Cela démontre qu’il existe dans la conscience de soi aussi une composante biologique, basique et automatique.” Et donc pas uniquement psychique, mentale et verbale comme l’a résumé Descartes dans son fameux ‘Cogito ergo sum’ (Je pense donc je suis). La vision jouant dans ces mécanismes cérébraux un rôle prépondérant par rapport au toucher, les chercheurs ont même intitulé leur article ‘Video ergo sum’ (Je vois donc je suis). “La représentation multisensorielle, surtout visuelle, du corps entier dans le cerveau joue donc un rôle essentiel dans la construction du ‘moi’, à côté bien sûr de l’aspect cognitif”, appuie Olaf Blanke." http://www.courrierinternational.com/article/2007/08/24/parle-a-mon-corps-ma-tete-est-ailleurs
L'idée c'est que la conscience de soi est fortement construite à partir des 5 sens. Si on perturbe la gestion des sens en utilisant des procédés de réalité virtuelle cela montre la possibilité pour la conscience de se délocaliser. Les scientifiques insistent généralement sur le fait qu'il s'agit d'une illusion mais ils oublient de dire que le fait que la conscience soit arrimé au corps n'est peut-être pas moins illusoire puisque c'est l'effet d'une construction biologique et inconsciente.
Voir aussi ici
“Beaucoup de personnes pensent que la perception qu’ils ont d’eux-mêmes est ancrée en eux de façon permanente, mais pas du tout. Elle peut changer très rapidement, et c’est ce qui est fascinant”, explique Miguel Nicolelis, neurobiologiste à l’hôpital de l’université Duke, à Durham, en Caroline du Nord.
http://www.courrierinternational.com/article/2012/02/02/profession-magicien-chercheur
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire