Thich Nhat Hanh - Pour une métamorphose de l'esprit : Cinquante stances sur la nature de la conscience

Celui-ci a atterri sur mon bureau un peu par hasard. La traduction date de 2007 mais le livre  Transformation at the base semble dater de 2001, mais la rédaction date de 1990. Sachant qu'il commence à écrire dans les années 60, il s'agit d'un livre plutôt récent et qui m'a semblé plus dense que bien des livres du même auteur mais je connais mal sa bibliographie.

Comme il l'explique dans la préface, il a rédigé ces cinquante stances de mémoire à partir de la tradition dont il est issu. Elles s'appuient sur deux traités de Vasubandhu (les vingt stances sur la manifestation de la conscience et sur les trente stances sur la manifestation de la conscience - Véme Siècle). Pour Thich Nhat Hanh, les stances de Vasubandhu ne sont pas cent pour cent Mahayana, par conséquent, Thich Nhat Hanh s'inspire de la tradition postérieure à Vasubandhu pour son exposé (à partir de Xuanzang et Fazang- VIIéme siècle).

"J'ai essayé dans ce livre de présenter les enseignements de l'école de la "Seule Manifestation" d'une manière totalement mahayaniste. 

Lorsque je suis arrivé en Occident, je me suis rendu compte que ces importants enseignements sur la psychologie bouddhique pouvaient ouvrir des portes de compréhension." p15
 Dés les première page on comprend que c'est beaucoup plus subtile que l'on pouvait imaginer. J'étais hostile à cette idée de conscience du tréfonds car elle me semblait tomber sous la critique philosophique du psychologisme. Or cette "Seule Manifestation" ne réifie pas cette huitième conscience car il la compare au courant d'un fleuve. De plus, on ne peut pas non plus la confondre avec le soi des hindouistes car c'est "une sorte de dépôt pour l'attachement au soi" qui explique précisément qu'on prenne la conscience pour le soi comme si ce soi existait.

"Notre conscience du tréfonds contient toutes les graines. (...) Si une graine d'illusion est arrosée en nous, notre ignorance va augmenter. Si la graine de l’Éveil grandit en nous, notre sagesse va fleurir (...) Avec la pratique de la pleine conscience, nous pouvons reconnaître les graines positives qui sont présentes en nous et autour de nous et les arroser chaque jour"
A quelqu'un qui m'objecte sur un forum "Enfin, je crois que de toute façon il ne faut pas trop s'attacher aux enseignements," je cite ce passage vraiment éclairant:

"Les enseignements de l'impermanence et du non-soi ne sont pas des doctrines ou des sujets de discussion philosophique. Ce sont des instruments de méditation, des clés pour nous aider à ouvrir la porte de la réalité. Si quelqu'un nous offre un marteau pour faire des travaux de menuiserie. Il ne faut mettre cet outil sur un autel et le vénérer. Nous devons apprendre à l'utiliser. Ne soyez pas dogmatique au sujet de l'impermanence et du non-soi. Pratiquez le regard profond et touchez la nature de l'impermanence, la nature de l'inter-être, dans la réalité." (...) "Regarder profondément, ce n'est pas spéculer" (...) "En regardant profondément une feuille, nous touchons le soleil, la rivière, l'océan et notre esprit en eux. C'est la pratique véritable"
 

Fa-hai - Manifeste de l'Eveil - Le soûtra de l'Estrade de Houei-neng

Le soûtra de l'estrade est un texte qui est souvent cité, parfois à tort et à travers et il ne peut qu'être bénéfique de le lire en intégralité. La particularité du Sixième patriarche (638-713) est d'être illettré, c'est pourquoi la rédaction du texte est attribué à l'un de ses disciples Fa-hai qui se met lui-même en scène dans le texte. Il faut dire qu'il en existe différentes versions et le traducteur, Patrick Carré en a choisi la plus ancienne. Je rappelle que Dogen se plaignait que des disciples de Houei-neng utilisent ce texte parfois en y ajoutant des passages de leur cru, souvent pour dénigrer la méditation assise.  

Dans les 14 premiers chapitres, Houei-neng raconte sa propre histoire à la première personne, notamment comment en entendant un passage du soûtra du Diamant, il s'éveilla à la Voie:

"A peine l'entendis-je que mon esprit s'illumina" §2

Il partit aussitôt rendre hommage au révérend Hong-jen, le cinquième Patriarche. Je passe l'histoire rocambolesque de la transmission du cinquième au sixième patriarche qui est bien connu et qui illustre l'idée qu'il n'est pas nécessaire d'être un intellectuel ou un érudit pour s'éveiller à sa véritable nature. Le plus intéressant du texte c'est la manière dont Houei-neng va tenter de faire de son éveil une méthode qui puisse aider les autres.  C'est là qu'apparait la critique de Houei-neng à l'égard non pas de la méditation mais d'une forme de méditation. Sa critique est en fait beaucoup plus subtile qu'elle n'y parait au premier abord. 

"Les égarés s’attachent à l’apparence des choses et croient qu’il existe réellement quelque « samâdhi de l’unique ». Ils redressent leur esprit et restent assis sans bouger, chassent les illusions sans plus produire de pensées – telle est leur « absorption unifiante ». Mais alors, ils s’adonnent à une méthode qui les assimile à des objets inanimés et, par surcroît, dresse maints obstacles sur la Voie." (...) "S’il s’agissait uniquement de rester assis sans bouger, Vimalakîrti aurait eu tort de gourmander Shâriputra, lequel passait sont temps assis dans la forêt.

Ô mes amis, j’en ai même vu qui apprenaient aux autres à s’asseoir pour examiner leur esprit, en examiner la pureté sans bouger, sans penser, et ainsi produire des mérites. Privés d’illumination, les égarés s’attachent jusqu’à la perversité, dont il existe des centaines d’espèces. Ceux qui expliquent ainsi la pratique commettent la plus vieille des grandes erreurs." §14
http://www.buddhaline.net/Soutra-de-l-Estrade

Si on se limite à ce passage on pourrait croire que Houei-neng dénigre la méditation mais ce n'est évidemment pas le cas car voici ce qu'il dit:

"A présent que nous savons ce qu'elle n'est pas, qu'est-ce donc, dans notre méthode, la "méditation assise"?  Quand, à l'extérieur, aucun concept ne vient s'ajouter aux objets, on parle d'être assis ; lorsque, à l'intérieur, on voit son essence originelle sans la moindre confusion, on parle de méditation" (...) "La concentration, c'est le détachement vis-à-vis des objets extérieurs et le recueillement, l'absence de confusion à l'intérieur" §19
 Autrement dit, ce qu'il critiquait dans la méditation c'est le figement de la pensée, le fait de croire qu'en s'asseyant face au mur, il faudrait s'arrêter de penser. Au contraire, ce qu'il valorise, c'est la fluidité qui évidemment ne se limite pas à la position assise. En revanche, il s'agit bien de pratique et pas seulement de discours.

"Il s'agit d'une méthode pratique qu'il ne suffit pas de ressasser en paroles. En parler, ce n'est pas la pratiquer, c'est en rester à l'illusion" §24

Il distingue deux sortes de vide, l'un qu'il assimile au néant

"Mais ne restez pas assis l'esprit vide : vous assimileriez le vide à une chute dans le néant" §24

et l'autre sorte de vide qui est celui qui contient toute chose:

"Le vide des espaces peut contenir le soleil, la lune et les étoiles, la grande terre, ses montagnes et ses fleuves, toutes les espèces d'arbres et de plantes, les hommes bons et les mauvais, les bonnes et les mauvaises choses, les paradis et les enfers : tout cela se trouve dans le vide. L'essence de l'homme est vide en ce sens également. §24

Notre essence est à même d'embrasser tous les phénomènes. " §25
 La méthode ne consiste donc pas à se vider l'esprit mais au contraire à embrasser tous les phénomènes sans les saisir. C'est pourquoi il assimile la "prajna" la sagesse, à la connaissance.

"Un instant d'ignorance interrompt la prajna" §26
Cependant:

"A l'instant même de la pensée, il y a illusion et du fait même qu'il y a illusion, ce qu'il y a n'est pas réel. La pratique poursuivie d'instant en instant porte le nom d'"existence réelle". §26
 On comprend que quand on dit que pour les bouddhistes rien n'existe, tout est illusion c'est complétement faux. Le réel existe bien, seulement la pensée ne permet pas d'y accéder. C'est la pensée qui est illusion. Ce qui permet d'accéder au réel c'est l'attention. Cette attention est l'état naturel, une fois débarrassé des passions et des illusions trompeuses. 

"Qui comprend correctement la chose n'a plus ni pensées, ni souvenirs, ni croyances. Il ne produit pas d'illusions trompeuses : voila bien l'essence de la simplicité du réel. Contempler tous les phénomènes à la lumière de la connaissance sans en adopter aucun ni le rejeter, c'est la voie sur laquelle en voyant l'essence, on devient Bouddha" §27
Aboutit-on à une forme de quiétisme? Je ne crois pas.

"On chasse les vues perverses, redresse son action et ne produit plus d'actes négatifs" §33
Ensuite, à partir du chapitre 34, il y a une sorte de mondo avec le préfet Wei K'iu qui l'interroge sur la réponse de Bodhidharma à l'empereur Wou des Liang, sur la question des mérites.

"Pratiquez la vertu à chaque instant, restez égal et droit, et votre mérite, dégagé du mépris, consistera à toujours respecter autrui" §34

C'est bien là qu'on voit qu'on a affaire à un éveillé. Comme le dit Patrick Carré dans son commentaire : "le vrai mérite consiste à s'oublier dans l'Autre". L'altruisme est la finalité de la pratique, non pas pour soi mais pour tous les êtres. Autrement dit: si mérite il y a, c'est au profit de tous les êtres.

On pourrait m'objecter qu'il est bien peu question de zazen dans le texte mais ce n'est qu'une question d'attention car les références ne manquent pas comme au moment des adieux

"Faites comme lorsque j'étais là et asseyez-vous ensemble - bien droits : il suffit de n'être ni mobile ni immobile, ni né ni disparu, ni allé ni venu, ni oui ni non, ni ici ni ailleurs ; il suffit  de rester à l'aise, paisible et silencieux pour pratiquer sur la grande voie."§53
Mais encore une fois, il ne s'agit pas de s'enfermer dans sa tour d'ivoire.

"Qui cherche le Bouddha hors de soi-même sans aspirer au réel
Battra la campagne comme un superbe crétin" §53

Voilà, c'est dit. 

Fleurs de basilic sacré


"les plantes ont fait du monde et de la vie des faits atmosphériques, c’est-à-dire l’espace dans lequel tout se mélange avec tout, tout est littéralement dans un autre sujet que lui-même."
(...)
"L’erreur est celui de penser que les circuits neuronaux soient la cause de la pensée et sa forme alors qu’ils en sont l’une des traductions possibles. Des infinies traductions possibles. La pensée est partout, et existe sous toutes les formes possibles. "
(...)
"Si la fleur est paradigme du devenir étranger à soi, c’est, très simplement, parce qu’il est l’organe sexuel des spermatophytes (...) nous avons oublié que le sexe est, tout d’abord, un instrument de mélange, mieux, la caractéristique qui fait du mélange une nécessité indépassable pour toute existence."