Jacques Brosse - Le zen et l'occident

Très belle émission qui donne à entendre la voix de Jacques Brosse mais aussi celle de Taisen Deshimaru. Elle commence doucement, il faut donc être patient.

A 14'40 :"le Bodhisattva, tout près de l'illumination et même l'ayant reçu, renonce au nirvana, l'union avec le principe cosmique et décide de revenir sur terre pour continuer sa mission car il ne veut entrer en nirvana qu'avec tous les êtres vivants, pas seulement les hommes, les bêtes, les herbes, les plantes..."

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La matinée des autres, 15 nov 1977.

Taisen Deshimaru - Le Zen de Dogen - Enseignement Oral - Tome 7

"Si une seule personne pratique véritablement zazen et abandonne l'ego, à ce moment-là, toutes les plantes, terres, bois, champs s'illuminent et brillent d'une lumière intense. Les montagnes, les rivières, les champs, les arbres, et même les petits cailloux retrouvent leur esprit, donnent toute leur énergie et aident le cosmos entier. Ainsi les personnes qui pratiquent zazen aident toute la nature et toutes les existences"

On sent fortement, à partir de Deshimaru jusqu'à Roland Rech le recentrage de Mujo Seppo (La prédication de la loi faite par l'inanimé) sur zazen. C'est en effet une interprétation possible à partir de Dogen mais n'est-ce pas un peu réducteur? Dogen cite le maître de la nation:

"La prédication constante faite par l'inanimé s'embrase, et ne s'interrompt jamais".

 Zazen peut permettre de se synchroniser avec les êtres inanimés mais ceux-ci s'éveillent en permanence simultanément que l'on fasse zazen on non. Il n'est pas question de dire que zazen est moins important chez Dogen que chez Deshimaru seulement, chez Deshimaru zazen est central alors que chez Dogen, il n'y a pas de centre ou du moins pas un centre unique. Zazen, la pratique de la voie dans la vie ordinaire, les préceptes, l'étude, les rituels, la prédication de la loi faite par les êtres inanimés peuvent tour à tour être considéré comme le centre. Toujours dans le texte Mujo Seppo Dogen écrit :
"Voici l'enseignement essentiel : c'est les saints qui peuvent entendre la prédication de la Loi faite par l'inanimé, et c'est ce moine qui peut entendre la prédication de la Loi faite par le maître de la nation. Etudiez et méditez ce principe de la Voie jour après jour, mois après mois"
Le monde des saints n'est pas le monde des moines qui n'est pas le monde des laïcs. Ces différents mondes ne sont pas séparés, ni sans rapport, ni indépendants. Ils n'ont pas le même centre.
"Si vous avez tout à fait clarifié la manière de prêcher la Loi chez l'inanimé, pénétrez à fond par expérience quelle devrait être l'écoute chez les saints. Si vous y êtes parvenus, explorez le domaine des saints. Puis étudiez la pratique quotidienne qui perce les cieux au-delà de la démarcation du saint et du profane."

On n'insistera jamais assez sur la dimension autant expérientielle qu'intellectuelle du Shōbōgenzō. Même si vous n'êtes pas un saint vous pouvez explorer le domaine des saints, exotisme et dépaysement garantis. Puis étudiez la pratique quotidienne dans la vie ordinaire et c'est encore un autre monde qui apparait. Le pluralisme de Dogen apparait à de nombreux endroits dans le Shōbōgenzō ainsi que dans d'autres textes. J'y reviendrais.

Par pluralisme j'entends  la coexistence et  l'interaction de mondes différents sans qu'il y ait pour autant nécessairement conflit, assimilation, réduction de l'Autre au même. Le pluralisme s'oppose au monisme qui considère que le monde est une totalité close constitué d'une seule substance. Il s'oppose au relativisme pour qui il n'existe pas de vérité absolue. Un pluraliste considère que l'on peut toujours postuler un absolu, un monde qui contiendrais tous les mondes mais celui-ci n'est pas atteignable soit qu'il contiendrait un nombre infini de mondes soit qu'il serait vide. "Le réaliste résistera à conclure qu'il n'y a pas de monde; l'idéaliste résistera à conclure que toutes les versions en conflit décrivent des mondes différents" écrit Nelson Goodman dans Manières de faire des mondes. Il ajoute : "le philosophe est comme le séducteur, il se retrouve toujours coincé avec rien ou trop". Le "rien" ne fait pas peur à Dogen. Le "trop", soit Dogen le critique comme étant hors de la voie, soit il le thématise négativement à la manière de la théologie négative

"Sachez-le, les montagnes se trouvent hors de la sphère humaine, hors de la sphère des hauts cieux. Ne considérez ni ne voyez les montagnes selon la mesure de l'entendement humain" écrit Dogen dans Montagnes et rivières comme sûtra [Sansuikô]
 et un peu plus loin dans le même texte :
"L'étude consiste à savoir que ce sont les montagnes qui cachent les montagnes en se cachant"



Maître Dôgen - Quelle est l'intention du patriarche Bodhidharma venu de l'ouest [Soshi serai.i] - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 3

Le texte commence par un kôan de Kyôgen Sikan que je résumerais ainsi :

Si vous étiez un homme suspendu par la bouche à une haute branche d'un arbre et qu'un autre homme vous demande : "Quelle est l'intention du patriarche Bodhidharma venu de l'ouest" que répondriez-vous?

La mise en situation extrême de la question dans l'instant empêche de répondre avec des mots sans aussitôt perdre la vie. Mais lâcher prise dans l'instant pour répondre est néanmoins impératif.

"Même les éveillés et les patriarches avec leurs visages éclos ne doivent pas se méprendre sur la rencontre du moi et de l'autre" 

Difficile de ne pas lire Dogen à partir de Levinas surtout si on lit attentivement les notes en bas de page de Y. Orimo "...Cette identité contradictoire [du moi et de l'autre] ne doit nullement annuler leur différence, mais bien au contraire elle a pour fondement l'altérité, altérité structurellement présente aux tréfonds de chaque existant".

Dogen, évidemment, ne répondra pas non plus à la question "Quelle est l'intention du patriarche Bodhidharma venu de l'ouest?" Bodhidharma  aurait probablement eu également beaucoup de mal à répondre. L'absence d'intention doit présider à la pratique. Y. Orimo commente dans ce sens "Si c'est le pratiquant qui pratique la Voie, c'est aussi la pratique qui crée le pratiquant". On retrouve l'idée qu'il ne s'agit pas de pratiquer pour s'éveiller mais la pratique est en elle-même le déploiement du cœur de l'éveil (mushotoku). Pour le dire autrement, comme le dit Chögyam Trungpa "Le chemin est le but".

Maître Dôgen - Déploiement du cœur de l'Eveil [Hotsumujôshin] - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 1

Durant la Sesshin, les "kusen", les "teicho" et même certaines réponses durant les "mondo" ont portés sur le déploiement du cœur de l'Eveil. Je serais incapable d'en faire un résumé, n'ayant pris aucune note. Et puis j'ai écouté avec mon cerveau gauche. Il ne s'agit pas, de toute façon, d'avoir appris quelque chose mais de laisser notre cœur se déployer comme présence. 

Pour comprendre ce texte il est nécessaire d'en connaitre le contexte. Il est contemporain de la construction d'un nouveau temple dans la province d'Echizen en 1244. Le texte s'adresse aux laïcs qui aide à la construction de ce nouveau temple. L'enjeu du texte est celui de l'absence de mérite pour soi au profit de la résonance collective entre moines et laïcs.
"Si l'on pratique la Voie avec un cœur sincère en se laissant transformer avec les herbes, les arbres, les tuiles et les cailloux, on doit obtenir la voie. Car les quatre éléments et les cinq agrégats vont ensemble avec les herbes, les arbres, les tuiles et les cailloux. Ils ont la même nature, ils ont le même cœur et la même vie et ils ont le même corps et la même dynamique."
Dogen dit exactement la même chose que Cynthia Fleury dans le Telerama du 29 Août au 4 septembre 2015 lorsqu'elle oppose le sujet individualiste (autocentré, grisé par l'ivresse de soi) et le sujet individué (décentré, singulier)
"Le sujet individué met en place un regard sur le monde extérieur, déploie et assure un socle, une assise, qui lui permet d'entrer en relation avec ce qui l'entoure. L'aventure le l'irremplaçabilité, la voie de l'individuation ressemble sous maints aspects à celle de la dépersonnalisation. Il ne s'agit pas de devenir une personnalité, d'être dans la mise en scène de l'ego. L'enjeu est au contraire relationnel: il s'agit de se décentrer pour se lier aux autres, au monde, au sens."
La dépersonnalisation signifie ici devenir authentique, vrai plutôt que jouer un personnage. On n'est vrai lorsque l'on cesse de penser à sa petite personne et que l'on est attentif à la singularité de tout ce qui nous entoure et d'un même mouvement on prend conscience d'avoir le même coeur. Chez Dogen le décentrement est radical.
"C'est dans une seule poussière qu'existent plusieurs milliers d'écritures saintes et le nombre incommensurable des éveillés"
Ce qui signifie que chaque chose, chaque être, vivant ou non, dans sa singularité, exprime le Dharma, la réalité telle quelle et à laquelle il faut être attentif.
"La méditation assise et la pratique de la Voie ne sont autres que le déploiement du cœur de l'éveil. Le déploiement du cœur n'est ni un ni multiple : la méditation assise n'est ni une ni multiple. Ils ne sont ni à multiplier ni à diviser. Il faut étudier à fond tous les existants tête par tête"
 Ni un ni multiple signifie singulier, autre. Comme le dit Parménide, ce qui est autre ne renferme aucune unité ni totalité. Ce qui est singulier, différent, autre ne peut se multiplier ni se diviser.
"C'est avec ce corps et avec ce cœur qu'il faut déployer le cœur de l'éveil"
Le corps et le cœur font la singularité et l'irremplaçabilité.
 "Si un seul cœur se déploie pour la première fois, une Vacuité se déploie si peu que ce soit."
La pratique de la voie impulse et influence le monde entier pour l'avenir. Toute petite action qui va dans le bon sens est une grande action par ses conséquences. Comme le dit Deshimaru : Pratiquer sans but ni profit et des mérites infinis apparaissent.
"En général, lorsqu'un être éveillé et un être non éveillé déploient ensemble le cœur de l'éveil, ils obtiennent pour la première fois une graine de la nature de l'éveillé"
Même des êtres radicalement différents peuvent entrer en résonance, comme des moines et des laïcs, des êtres sensibles et animés et des êtres inanimés.
 "C'est ce déploiement du cœur qui vous conduit directement à la réalisation de l'éveillé! Cela ne doit jamais être brisé ni anéanti dans l'espace intermédiaire"
 Ils ne sont pas séparés. Ils ne sont pas du même monde mais ils sont dans la proximité.

"Cependant voici ce que disent les partisans stupides du petit véhicule : Les constructions (...) sont des actes méritoires qui sont de l'ordre du confectionné, il ne faut donc pas s'en occuper"
 Dogen récuse l'idée qu’œuvrer pour la communauté des moines permet d'accumuler des mérites pour soi uniquement. Il récuse également l'idée qu'il faudrait uniquement méditer et ne pas se préoccuper des choses matérielles et périssables.  En revanche œuvrer ensemble, en suivant les écritures bouddhiques et les bons maîtres, tout en étant radicalement différents, permet de mettre à jour sa nature de bouddha dans l'instant présent. On retrouve l'idée d'irremplaçabilité et donc de responsabilité individuelle et collective pour semer les graines de l'éveil qui vont germer dans l'avenir.  Il n'est pas indifférent que l'on retrouve ici la référence à Bodhidharma

"Le premier patriarche chinois (Bodhidharma) dit : Chaque cœur est comme du bois et de la pierre"
Il est dommage que Nietzsche ne se soit jamais intéressé de près à Bodhidharma. Il aurait écrit moins de bêtise sur le bouddhisme (voir le chapitre 4 partie II de La rencontre du Bouddhisme et de l'occident de Frédéric Lenoir). Le bois et la pierre expriment la fermeté, la diligence, l'absence de sensibilité déplacée, l'absence de sentiments comme la pitié stérile et centrée sur l'égo.
Dogen commente ainsi:
"C'est par la force de ce cœur de bois et de ce cœur de pierre que se réalisent comme présence la pensée et la non pensée de ce présent"
Dans un autre texte "une perle claire" [Ikka myôju] (Shôbôgenzô - Tome 3, p 102) Dogen écrit :
"C'est en traquant la chose que se fait le moi, et c'est en traquant le moi que se fait la chose. A la naissance des sentiments et émotions, la sagesse s'éloigne"
C'est donc avec un cœur ferme et persévérant, éloigné de toute sensiblerie, sans but, ni profit d'aucune sorte que l'on peu déployer le cœur de l'éveil.




Maître Dôgen - La manière de la méditation assise [Zazengi] - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 6

Je triche un peu car pour l'instant je n'ai que les 5 premiers tomes et je n'ai lu pour l'instant que les trois premiers. J'ai été étonné de tomber sur la phrase ci dessous qui est l'une des clefs pour comprendre le Shôbôgenzô.
« La méditation assise [zazen 坐禅] n’est pas l’exercice du dhyâna [shuzen習禅] »

Sur le site d'Amazon on peut lire une critique très désagréable de la traduction de Yoko Orimo. "la traduction est pompeuse, absconse, le style infiniment ampoulé emprunt de byzantinisme cultive fausse érudition et se perd en inutiles circonvolutions." Maintenant comparez la traduction ci dessus avec la traduction que l'on trouve sur zen-occidental.net
"La méditation assise n’est pas un exercice de méditation." 
 Vous m'excuserez de préférer la traduction de Yoko Orimo qui a le mérite d'être précise. Il est possible de la consulter en intégralité à cette addresse


J'aimerais connaitre l'origine de cette distinction entre Zazen et dhyâna. Il me semble que c'est chez Dogen qu'elle apparait la plus clairement.

La différence est simple. Dhyâna est la méditation qui permet d'atteindre l'éveil. Au risque de caricaturer il s'agit d'atteindre des états de conscience particuliers. A l'inverse, Zazen, seulement s'asseoir, est déjà le déploiement de l'éveil, il n'y a donc rien à atteindre, ni à attendre, pas même l'éveil puisqu'il est déjà là, même s'il faut de nombreuses années de pratique pour réellement s'éveiller. En caricaturant vraiment je dirais que dhyâna fait de nous des illuminés alors que zazen fait de nous des gens ordinaires mais attentifs. Un illuminé se reconnait à 5 mètres alors qu'il est impossible de faire la différence au premier coup d’œil entre un éveillé et quelqu'un d'ordinaire. Les illuminés sont ceux qui sont tombés dans le piège de l'attachement à l'éveil. Ayant réellement connu une forme d'extase, ils ont parfois un vrai charisme, et donc un certain pouvoir, il est donc nécessaire de garder son esprit critique. Lorsqu'un illuminé prend conscience d'être illuminé, il peut chercher à redevenir quelqu'un d'ordinaire et faire preuve d'humilité et s'éveiller. Les choses ne sont donc pas tranchées, ni noires, ni blanches. Tout est possible à chaque instant. Entendons-nous bien je n'ai pas rencontré d'illuminé. Je ne parle ici que de moi. En effet, on a vite fait de se payer des petits satori qui nous font croire qu'on est arrivé quelque part et que les autres sont loin derrière. Il faut donc rester humble, ne pas se payer de mots et pratiquer activement le non-agir, la non-parole, ne pas juger et rester bienveillant et disponible.

Je suis tombé sur un texte vraiment très juste sur la distinction entre zazen et shuzen dont je recommande la lecture: https://btr2010.wordpress.com/2014/08/26/zazen-nest-pas-shuzen/

Pour ma part, je trouve très difficile d'être attentif à chaque instant dans la durée. Je constate que faire une Sesshin permet d'augmenter considérablement sa sensibilité et donc son attention mais en même temps c'est assez fatiguant et les effets ne durent donc pas très longtemps. Je comprends les gens qui se découragent rapidement. J'imagine que plus on pratique plus les effets durent et moins cela demande d'effort. En revanche, plus on est attentif à soi et aux autres plus les choses importantes à faire s'imposent et plus les choses futiles paraissent futiles.

Lanau


Roland Yuno Rech - Les pièges sur la Voie

Il était très tentant de continuer ce blog toujours avec Roland Rech non plus avec ses kusen mais avec ses teichos. Les teichos sont des conférences ou des seminaires qui traitent d'un sujet particulier. Ils datent de 2010-2011

Le texte commence ainsi :

"Le piège fondamental de notre pratique, c'est que le Dharma, l'enseignement, se transforme lui-même en illusion, c'est à dire que par illusion ou par attachement , on transpose sur le zen nos attachements ordinaires qui sont causes de souffrance"

et un peu plus loin

"Il surgit souvent d'un comportement qui est bon au départ mais que l'excès pervertit et transforme en piège"

Le piège est plus subtil, inconscient et dangereux que l'erreur ou l'obstacle et se révèle dans la souffrance qu'il génère notamment dans la sensation de ne pas être libre.

 Le zen est une voie de libération. Tout attachement est donc un piège. Je vais seulement énumérer les principaux pièges :

L'attachement à l'éveil, à l'illumination, au satori
L'attachement à son rôle
L'attachement au maître
L'attachement aux règles, rites cérémonies
L'attachement aux préceptes
L'attachement aux sutras, aux textes
L'attachement sélectif à certains aspects du bouddhisme
L'attachement à zazen seulement
L'attachement à notre pratique (prosélytisme)
L'attachement ou le rejet systématique de l'institution

De plus, il y a bien sûr le piège du dualisme

Le dualisme corps/esprit
Le dualisme pratique/réalisation
Le dualisme approche subite/approche graduelle
Le dualisme zazen/vie quotidienne

Le piège du matérialisme spirituel

Le piège du nihilisme


Il manque peut-être le piège du naturalisme qui pense que tout est là et qu'il n'y a rien à faire. J'y reviendrais.
Le naturalisme est fortement critiqué par Dogen. Pour Dogen, il faut toujours aller au delà du par delà de l’au-delà de l'éveil, ici et maintenant..