Il s'agit d'un petit livre intéressant mais un peu court, à l'image de sa bibliographie (p78). Il est le compte rendu d’enseignements donnés en 2009. Les mondos prennent beaucoup de place et le côté question-réponse rend le livre parfois un peu léger. Il ne fait que confirmer ce que je savais déjà. Il faudra peut-être que j'aille voir ailleurs pour bousculer mes préjugés.
La question que traite Roland Rech est celle de ce que peut apporter ces enseignements pour notre pratique. Il ne s'agit donc pas d'un exposé théorique et philosophique sur le Yogacara. Même si, le terme de Yogacara dans lequel résonne le mot Yoga montre bien qu'il y a bien une orientation pratique, au sens corporel de cette philosophie.
Je laisserais de côté les considérations historiques de Roland Rech sur la manière dont ces enseignements du Mahayanna prennent place dans les discours du bouddha historique par rapport à ceux du bouddhisme ancien. L'idée que les développements du Mahayana auraient été présents dès le départ me semble, pour ma part, peu vraisemblable. Il me semble davantage être une adaptation et une relecture des textes au regard des critiques qui sont apparues postérieurement sur les discours originels. Comme le dit très bien Dogen qui ne se fait aucune illusion sur le caractère inauthentique de certains textes tardifs du Mahayana, à partir du moment où ils ont été adopté par la tradition (celle des patriarches) ils deviennent aussitôt des textes authentiques. Dogen va jusqu'à dire, je caricature à peine, que ce n'est pas la peine d'aller en Inde pour vérifier. Qu'il y ait un écart considérable entre les textes indiens (notamment ceux du Yogacara) et la pensée de Dogen, n' a rien de surprenant. Je rappelle que dans le texte Mujo Seppo, Dogen parle de la relative liberté des éveillés à l'égard des textes du passé.
Pour Roland Rech, si le Yogacara est apparu c'est parce que précédemment l'accent était tellement porté sur la vacuité que cela avait parfois pour conséquence une position trop nihiliste. On retrouve d'ailleurs cette même idée en occident lorsque Dostoïevski fait dire à Ivan Karamazov "Si Dieu n'existe pas, tout est permis”. On pourrait dire si tout est vacuité alors tout est permis.
"Le Tout-Esprit" serait alors une sorte de détour, de moyen habile pour amener progressivement les êtres humains à accepter la vacuité. Et dans ce sens les enseignements du Yogacara sont considérés comme des enseignements provisoires, pas par les maîtres du Yogacara bien sûr, mais par les gens qui les critiquent, c'est à dire par les gens du Madhyamika (école du milieu) issu de Nagarjuna."
Le Yogacara va donc insister sur les processus mentaux de manière à purifier progressivement le mental.
On notera au passage que Roland Rech se trompe lorsqu'il dit que l'idéalisme s'oppose à l'empirisme (p31). La position de Berkeley est à la fois idéaliste (rien n'existe en dehors de l'esprit) et empiriste (tout y entre par le biais de l'expérience). Jean Marc Vivenza souligne d'ailleurs la parenté entre le Yogacara et la pensée de Berkeley. Néanmoins, il est vrai, un idéaliste n'est pas nécessairement empiriste.
Le Yogacara ajoute à la sixième conscience (les cinq premières sont liés au cinq sens), le mental, deux autres consciences : la conscience mentale souillée et la conscience réceptacle (alaya). Ceci permet d'expliquer d'une part la question de la continuité des flux de conscience entre deux renaissances et d'autre part le fait que la conscience réceptacle lorsqu'elle est purifié renvoie à la nature de bouddha.
Le plus intéressant c'est évidemment les moyens employés pour purifier la conscience réceptacle. Je ne vais pas dévoiler tout le livre... En deux mots, il y a d'abord l'étude puis la contemplation, puis le retournement de la conscience puis la bouddhéité. Seulement, cela ne se fait pas en cinq minutes montre en main mais en dix terres (et autant de renaissances, je suppose). Les six premières sont consacrés à la pratique des paramitas (don, générosité, compassion...) , des préceptes sans oublier la méditation, dans la septième, les moyens habiles, la huitième les pouvoirs extraordinaires, la neuvième l'enseignement du Dharma comme un bouddha et la dixième il est totalement réalisé et libre.
On notera quand même que :
"La conscience réceptacle est un réceptacle tant qu'il y a des graines dedans. Mais quand il n'y a plus de graines ce n'est plus un réceptacle" mais quand la conscience réceptacle (alaya) disparaît elle devient la conscience pure (amala) sans objet, "en tous les cas sans objet d'attachement".
Arrivé à la dixième terre il y a une indifférenciation entre le niveau relatif et le niveau absolu. Et comme il y a des imbéciles partout il y en toujours pour croire qu'ils sont arrivés à la dixième terre et qu'ils n'ont plus besoin de pratiquer et qu'il peuvent allègrement franchir tous les interdits.
"A la gendronnière, il y avait des moines comme ça qui restaient au bar toute la nuit à se saouler et à faire des tas de bêtises en disant "Bonno soku bodai" (identité entre les passions et l'éveil)"
Aujourd'hui, à la gendro, les adeptes d'un zen tantrique (ou ésotérique) semblent beaucoup moins nombreux.
La deuxième partie du texte consacré à l'attitude de Dogen vis à vis du Yogacara est très intéressante mais j'en ai déjà parlé.
Au Yogacara s'oppose l'école du milieu qui rejette l'éternalisme et le nihilisme.
"Dogen se tient dans cette position très Madhyamika (voie du milieu) de combattre toute tentative de substantialiser non seulement la conscience , mais surtout quoi que ce soit" (...)"... Pour Dogen, l'esprit n'est pas séparé de toute chose. Ce n'est pas la source ou l'origine. Ce n'est pas une entité indépendante"(...) Dogen dénonce complètement l'erreur (...) qui consisterait à croire que puisque l'esprit lui-même est bouddha, puisque nous avons un esprit apparemment, nous sommes déjà bouddhas et il n'y a pas besoin de pratiquer"(...) De même, maintenant, à notre époque, il y a une certaine compréhension de la spiritualité qui est, je crois, très influencé par le Vedanta mal compris de Ramana Maharshi, et qui encourage une forme d'éveil solitaire en dénonçant la pratique. En disant "il n"y a rien à pratiquer, vous êtes déjà le vrai Soi, l'atman."(...) " Dans la pratique du zen, on insiste justement sur la pratique, la transmission de maître à disciple"
Et mujo seppo dans tout ça?
"Même les murs, les tuiles, les pierres, tous les phénomènes actualisent l'esprit des anciens Bouddhas, donc bien au-delà de la dualité matière-esprit"
Et comme Mujo c'est également l'impermanence:
"La véritable libération ne peut être réalisée que dans la compréhension profonde de l'impermanence comme impermanence (...) Le soleil, la lune, les étoiles, et même à l'intérieur de notre corps ça apparaît et ça disparaît. C'est l'expérience fondamentale, la réalité fondamentale que nous partageons avec tous les êtres."