Joshin Luce Bachoux - Tout ce qui compte en cet instant

Voici à nouveau le livre d'une nonne zen. Il s'agit de petites tranches de vie saisie le plus souvent sur le vif. C'est parfois léger et inégal mais au moins ça ne ressasse pas trop les lieux communs du zen. Il date de 2009.

"Dans la salle d'attente du dentiste, je feuillette distraitement une revue jusqu'au moment où mon regard s'arrête sur les photos : ici un bassin aux lotus entouré d'herbes aquatiques (...) Depuis que je vis dans les montagnes, la nature m'appelle"

Encore un livre qui s'ouvre sur Mujo seppo, le chant du monde.

"Je me souviens que lorsque j'étais plus jeune, ma mère me répétait que je ne savais pas voir un arbre:"il faudrait qu'il te morde le nez" (...) "Plus tard pourtant (...) je compris ce qu'elle voulait dire :  pour la première fois je voyais un arbre, puis un autre, et d'autres encore... Non seulement ils étaient tous différents, mais je découvrais que le vert se déclinait en mille nuances en reflets inépuisables." C'était comme un éveil au monde; je vois que le doux frémissement argent des oliviers se détachait sur le vert profond des grands cyprès; que le vert fané des feuilles de chêne ne se confondait pas avec la douceur des amandiers.. (pourtant, longtemps encore la nature n'allait rester qu'un cadre pour mes plaisirs et mes émotions. Mais à vivre dans la beauté petit à petit, le cœur s'éveille. Ce fut la montagne qui me l'enseigna (...) je pris conscience de mon poids sur la terre et de la solidité de la terre sous mes pieds. Je marche sur du vivant"

Ah j'ai eu peur qu'elle n'arrive pas à la dimension vivante de ce qui nous entoure.C'est une chose de percevoir la beauté du monde. C'en est une autre d'en percevoir le caractère vivant.

---------Edit------------

Je viens de le terminer. Je reviens sur ce que j'ai écrit. Ce n'est pas toujours léger mais c'est souvent profond. Comme par hasard les deux chapitres que je préfère sont ceux qui ouvrent et ferment le livre.

"- Que fais-tu grand-mère, assise là, dehors, toute seule?
-Eh bien, vois-tu, j'apprends. J'apprends le petit, le minuscule, l'infini. J'apprends les os qui craquent, le regard qui se détourne. J'apprends à être transparente, à regarder au lieu d'être regardée. (...)
-Comment est-ce que tu apprends tout cela, grand-mère?
-J'apprends avec les arbres, et avec les oiseaux, j'apprends avec les nuages. J'apprends à rester en place, et à vivre dans le silence. J'apprends à garder les yeux ouverts et à écouter le vent, j'apprends la patience et aussi l'ennui. (...) J'apprends à passer sans laisser de traces, à perdre sans retenir et à recommencer sans me lasser. J'apprends à me réjouir au début du printemps et à la fin de l'automne, à voir un arc-en-ciel dans une goutte de pluie et une vie entière dans une gouttelette de soleil qui scintille sur une pierre. (...)
-Grand-mère, je ne comprends pas, pourquoi apprendre tout ça?
- (...) Parce que, avec l'élan de la vague et le long retrait des marées, j'apprends à voir du bout des doigts et à écouter avec les yeux. J'apprends qu'il n'est pas de temps perdu, ni de temps gagné mais que l'infini est là, dans chaque instant, cadeau trop souvent refusé dans le torrent des jours.
 C'est étonnant je pensais que Mujo Seppo était une thématique que l'on trouvait assez peu chez les occidentaux... Évidement, à force de fréquenter des pensées extra-occidentales on commence à écouter avec les yeux et voir en touchant le réel. 

Pour conclure je dirais que c'est un livre très agréable à lire. Il y a quelques chapitres sur ses séjours au Japon, on aurait bien aimé qu'il y en ait davantage.  Plusieurs chapitres m'ont vraiment touché mais je n'en dirais pas plus.