Maître Dôgen - Étude de la Voie avec le corps et le cœur - [Shinjin-gakudô] - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 7

Je reviendrais plus tard sur le tome 6 que j'ai lu cet été car je viens de récupérer les tomes 7 et 8.  A la lecture des titres de chapitres du tome 7 je pensais ne rien trouver dans ces textes. Ils sont quasiment tous passionnants.

Le premier commence ainsi:

"La Voie de l'éveillé ne saurait être obtenue si on ne la pratique pas; elle reste fort lointaine si on ne l'étudie pas."(...) "Pour apprendre la Voie de l'Eveillé, il y a pour l'instant deux (chemins). Je veux dire qu'on l'étudie avec le cœur et qu'on l'étudie avec le corps. L'étudier avec le cœur veut dire l'étudier avec la multitudes des cœurs. La multitude des cœurs désigne l'esprit, l'organe vital, le siège de la pensée..."
Le cœur  n'est pas réductible à l'esprit seulement (citta) puisqu'il désigne aussi l'organe vital (hrdaya) et le siège de la pensée (vriddha)

Dans l'introduction à ce texte Y. Orimo écrit "Il s'avère ainsi que l'étude de la Voie avec le cœur ne consiste en rien d'autre qu'à étudier ce qu'est le cœur, c'est à dire soi-même." A vrai dire, aucune phrase dans ce texte ne permet de l'affirmer aussi clairement sinon il écrirait on étudie le cœur avec le cœur néanmoins il écrit à propos du cœur:

"Qui le regarderait avec attention? Il étudie la Voie en se retournant brusquement. Chacun (des cœurs) s'en va en suivant les autres. C'est alors que l'effondrement du mur lui fait étudier les dix directions ; le seuil sans porte lui fait étudier les quatre côtés"
 Pas très "Soto" ce passage n'est-ce-pas? 

 Du point de vue Soto :"Quand il n’y a rien à obtenir, rien à réaliser, le zazen assis est «l’abandon du corps-esprit (shinjin datsuraku) ». L’abandon du corps-esprit n’est pas un état psychologique merveilleux à obtenir comme résultat du zazen assis. C’est plutôt que zazen lui-même n’est rien d’autre que «l’abandon du corps-esprit».

Mui sauf que l'effondrement du mur corps-esprit n'est pas sans conséquence puisqu'il fait étudier les dix directions et Dogen d'ajouter que "cela est au profit de moi et de l'autre". Et puis, cela m'étonnerait que cela ne s'accompagne pas d'un état psychologique merveilleux (même si je suis d'accord pour dire qu'il ne faut pas s'attacher à ce genre d'état).

Pas très "mushotoku" ce passage n'est-ce pas?

"S'agissant du déploiement du cœur de l'éveil ou bien on peut l'obtenir au milieu des naissances et des morts  ; ou bien on peut l'obtenir dans le nirvana"
 Bah alors les gars je croyais qu'il n'y avait rien à obtenir.
"Par ailleurs, quand on est touché et quand on entre en résonance avec la Voie qui se communique, on déploie le cœur de l'Eveil, on trouve refuge dans la grande Voie des éveillés et des patriarches, et on apprend la pratique quotidienne dans le déploiement du cœur. Même si le vrai cœur de l'éveil ne s'est pas encore déployé en vous, étudiez l'enseignement des éveillés et des patriarches qui vous ont précédés dans le déploiement du cœur de l'éveil."
 Comme quoi, on peut pratiquer shikantaza sans que le vrai cœur de l'éveil ne se déploie c'est pourquoi l'enseignement des éveillés et des patriarches est bel et bien indispensable. En fait s'il suffisait de faire zazen pour déployer le cœur de l'éveil on retomberait dans l'hérésie naturaliste qui considère que nous sommes d'emblée éveillé. Je persiste à penser que zazen est indispensable mais pas suffisant. 

"Quand on étudie ainsi la Voie, la récompense advient spontanément là où il y a le mérite, tandis que le mérite n'advient pas encore là où il y a la récompense. Sans que l'on s'en rende compte, cela nous fait expirer en secret avec les narines des éveillés et des patriarches et nous fait attester l'Eveil avec le sceau du sabot d'un âne qu'on a trituré"
On comprend la série de paradoxes : on a peu de chance de s'éveiller si on recherche l'éveil consciemment comme une récompense d'une bonne pratique mais si l'on pratique consciencieusement il n'y a pas de raison qu'il n'y ait pas d"éveil sans que l'on s'en rende compte. 

Il reste la question du corps.

"C'est avec une boule de chair écarlate qu'on étudie la voie"(...)"Le corps humain est composé des quatre grands éléments et des cinq agrégats. Le commun des mortels ne saurait pénétrer à fond l'ensemble composé de ces derniers : ce que le saint, lui étudie à fond."(...)" bien que les naissances et les morts soient le cycle sans fin de la souffrance pour le commun des mortels, elles sont l'objet de la libération de soi pour le grand saint."
On voit ici que la phrase de Y. Orimo "Il s'avère ainsi que l'étude de la Voie avec le cœur ne consiste en rien d'autre qu'à étudier ce qu'est le cœur" est fautive puisqu'elle oublie le corps. En effet, le saint étudie à fond l'ensemble composé des cinq agrégats que constitue le corps humain. On comprend donc mieux ici pourquoi Dogen rejette le naturalisme de celui qui ne considère que son esprit (ou son cœur) sans étudier son corps. Contrairement aux autres voies spirituelles, le corps est vu par Dogen de manière positive. "Tout ce qui advient de l'étude de la Voie est le corps". C'est caricaturer Dogen que de réduire sa pensée à l'abandon du corps et de l'esprit. "On étudie la Voie en abandonnant son corps et en recevant un corps". Il en est de même pour l'esprit.
"Il y a ceux qui étudient la Voie en abandonnant ces cœurs; il y a ceux  qui étudient la Voie en relevant et en triturant ces cœurs. C'est alors qu'on étudie la Voie dans la pensée [shiryô] et qu'on étudie la Voie dans la non-pensée [fushiryô]"
On évite de caricaturer Dogen quand on garde en tête le principe de non-dualité. On cite souvent la phrase "s'étudier soi-même c'est s'oublier soi-même" comme si pour s'étudier il fallait s'oublier ce qui est stupide. Du moins, s'oublier ne signifie pas faire sans le corps et l'esprit comme quand on dit à quelqu'un oublie ceci car j'ai mieux à te proposer. Là on ne peut faire sans le corps et l'esprit. "La pratique consiste simplement à s'asseoir dans le zendo avec corps et esprit..." écrit Shohaku Okumura dans Réaliser Genjôkôan.

C'est en s'étudiant soi-même que l'on comprend que l'on n'est rien d'autre que l'univers des dix directions et qu'alors on s'oublie soi-même. On ne peut s'oublier qu'en allant au fond des choses et de nous-même, en s'étudiant soi-même dans la moindre sensation, la moindre pensée. Même l'intellect discriminant n'est pas à rejeter mais à voir et à laisser passer comme le reste.

 Il ne s'agit pas pour autant d'un mouvement dialectique car il n'y a pas de synthèse. L'union des contraires restent hétérogène c'est pourquoi on parle de non-dualité. Il s'agit plutôt de monter en haut de la montagne à chaque inspiration et de redescendre à chaque expiration. 

Philip Kapleau - Les trois piliers du zen

Ce livre offre l'avantage de donner un éclairage un peu différent du zen de celui de Deshimaru et de Kodo Sawaki car il parle davantage du zen Rinzaï et plus précisément du kensho. Il considère le zen soto et zen Rinzaï non pas comme rivaux mais comme complémentaires. 

Les causeries introductives de Yasutani-Roshi (l'un des maitres de Kapleau) sont d'une grande clarté.
"Il ne faut pas confondre zazen et méditation. Celle-ci implique la fixation de l'esprit sur une idée ou un objet. Dans certains types de méditation bouddhiste, le méditant imagine ou contemple ou analyse certaines formes élémentaires, chassant de son esprit tout ce qui n'est pas elles (...). Le caractère exceptionnel du zazen réside en ceci que l'esprit est libéré de tout ce qui est formes, pensées, visions, objets, imaginations... et amené à un état de vide absolu, à partir duquel seulement il pourra un jour percevoir sa véritable nature ou la nature de l'univers." 

On dit souvent que zazen ne consiste pas à faire le vide dans son esprit. C'est vrai au sens où il ne s'agit pas d'essayer de ne penser à rien, ce qui est impossible si on ne connait pas le chemin qui mène à ce vide. Et quand on connait le chemin, il ne s'agit pas non plus de s'y maintenir mais de voir ses pensées pour ce qu'elles sont.

"Il en va de même pour le zazen qui recourt au Koan: celui qui s'efforce de pénétrer le sens de son koan et de s'identifier à lui ne médite pas au sens technique du terme. Le zazen n'est ni une rêverie paresseuse ni inaction passive, mais c'est un combat intérieur intense dont le but est d'acquérir le contrôle de l'esprit et de l'utiliser ensuite tel un missile silencieux, pour franchir la barrière des cinq sens et du sixième sens qu'est l'intelligence discursive".
On voit bien ici qu'on s'écarte doucement de ce que disent Deshimaru et ses disciples dans la mesure où ils disent ne pas rechercher l'illumination ni même à tirer profit de la pratique pour eux-même. 

"... le zazen crée un nouvel équilibre du corps et de l'esprit. Cela étant acquis, les émotions "répondent" avec une sensibilité et une pureté accrues et la volition s'exerce avec plus de force et de lucidité'(...)" Sécheresse, rigidité égocentrisme cèdent la place à la chaleur, à la souplesse et à la compassion, cependant que la complaisance envers soi-même et la peur sont transmuées en maîtrise de soi et courage"
 L'illumination, appelé Kensho est la prise de conscience de notre nature profonde. 

"A la différence des concepts moraux et philosophiques qui sont susceptibles de variations, cette conscience authentique est définitive. Pour la première fois nous pouvons vivre dans la paix et la dignité intérieures, libérés du doute et de l’inquiétude, en harmonie avec notre environnement."
Les makyo sont les phénomènes troublants ou "diaboliques" susceptibles d'apparaître pendant le zazen. 

"Ils ne sont pas intrinsèquement néfastes, mais ils peuvent devenir un obstacle sérieux au zazen si l'on ignore leur vraie nature et si on se laisse prendre à leur piège"(...)" Celui qui est prisonnier de ce dont il a pris conscience par le satori demeure encore attaché au monde du makyo" "Le bouddha Cakyamuni lui-même, juste avant son illumination, eut affaire à d'innombrables makyo, qu'il qualifia de démons encombrants"
Les cinq variétés du zen
 "Le zen bompu ou zen ordinaire sans contenu philosophique ou religieux (...) est un zen pratiqué à seule fin d'améliorer la santé physique et mentale. "
 On retrouve ici l’équivalent de la pleine conscience.  "on y apprend la concentration et le contrôle de l'esprit"  mais il "est incapable de résoudre le problème de l'homme et de son rapport avec l'univers"

"Le zen gedo, ou zen extérieur implique d'autres enseignements que celui du bouddhisme comme le yoga hindou, le quiétisme confucéen, les pratiques contemplatives chrétiennes. Celui-ci est souvent pratiqué également pour cultiver divers pouvoirs ou dons supranormaux. Tous ces exploits sont rendus possibles par le Joriki, pouvoir particulier que donne la pratique acharnée de la concentration spirituelle"
Où l'on voit que l'on peut faire du zen un usage non bouddhiste. 

"Le zen shojo qui signifie "petit véhicule" qui vous portera d'un état d'esprit (l'erreur) à un autre l'illumination mais qui ne tend à la paix spirituelle que de celui qui s'y adonne. (...)C'est un moyen pour éviter de renaître. Il a pour objectif la suppression de toute pensée, de telle façon que l'esprit se vide complètement et atteigne un état appelé mushinjo (...) voir même indéfiniment auquel cas la mort s'ensuit naturellement sans souffrance et sans renaissance"
Le nirvana quoi!
"Le zen daijo c'est le zen du grand véhicule a pour objectif le kensho-godo c'est à dire la faculté de voir en notre nature essentielle et d'appliquer la Voie à notre vie quotidienne."(...) "On peut donc dire qu'un zen ignorant, niant ou minimisant le satori n'est pas le véritable zen bouddhiste daijo"
Il s'agit ici de réaliser notre vraie nature et aider les autres à réaliser la leur mais plus est grande l'illumination plus grand est le besoin de la pratique de zazen

"Le zen saijojo est le véhicule suprême. Il n'implique aucune aspiration au satori... Nous l'appelons shikan-taza. Dans cette pratique suprême les moyens et la fin se confondent. C'est le zazen que recommandait Dogen."

Le zen Rinzaï met l'accent sur le zen daijo et le zen soto sur le zen saijojo mais pour Yasutani-Roshi croire que nous sommes de manière innée des bouddhas et que le satori n'est pas nécessaire ramène le shikan-taza aux dimensions du zen bompu. La subtilité du zen saijojo tient au fait non pas au fait de croire que le satori n'est pas nécéssaire ni même qu'il adviendra nécessairement mais la ferme conviction que le zazen est la réalisation de la vraie nature permet de prendre conscience de celle-ci sans s'y efforcer consciemment.

Les trois objectifs du zazen sont: 
1° le developpement du pouvoir de concentration (joriki)
2° l'éveil du satori (kensho-godo)
3° la concrétisation de la Voie Suprême dans notre vie quotidienne.

Un passage qui m'a fait rire:
"Si votre shikan-taza est authentique, au bout d'une demi-heure vous serez couverts de transpiration, même en hiver dans une pièce non chauffée, à cause de la chaleur engendrée par cette intense concentration"
Lors de ma première seishin j'ai demandé au maître si c'était normal que je transpire autant et il m'a répondu qu'en zazen il pouvait se passer toute sorte de chose comme avoir le nez qui coule... comme si la chaleur n'avait rien de spécifique à zazen. Je lui en ai reparlé récemment et il m'a dit que lui aussi ressentait cette chaleur et m'a conseillé de chercher à l'intensifier.  A la seishin d'automne il faisait un peu froid dans le grand dojo de la Gendro et j'ai trouvé rigolo de pouvoir faire zazen en T-shirt... J'étais d'ailleurs le seul à ne pas porter de kimono il me semble. Par contre je n'arrive pas à générer cette même chaleur en kinhin même si je commence à être capable de la générer un peu en dehors de zazen. Il suffit de se concentrer comme en zazen et de sentir son corps et l’énergie qui le traverse. Évidemment si j'avais lu de tels propos avant d'en faire moi-même l'expérience je n'y aurais pas cru. L'idée même qu'une énergie venue d'on ne sait où puisse parcourir mon corps me semblait franchement farfelue.  Quand on ressent cette énergie, l'idée semble déjà beaucoup moins farfelue. En même temps je suis loin du Kensho.

Sur la 4éme de couverture on peut lire :"Les Trois Piliers est encore, à mon avis, le meilleur livre en anglais écrit sur le bouddhisme zen" Selon Huston Smith, un spécialiste des religions comparés. Il ne faut pas exagérer non plus. Certes le livre est enthousiasmant. Il donne une idée assez juste de la pratique mais les témoignages (f)relatés restent des témoignages. Mieux vaut pratiquer soi-même que de lire des témoignages. Les récits d'illumination donne envie de lire Après l'extase, la lessive de Jack Kornfield que je n'ai pas encore lu.Je sais que l'on trouve dans ce livre l'idée que l'illumination n'est pas une fin.  Ce n'est pas non plus ce que prétendent ces récits. Le kensho marque plutôt le début de la pratique authentique (qui inclut la lessive et le repassage)

Ces témoignages qui occupent le plus de pages sont intéressant mais pas autant que les quelques pages introductives dont j'ai parlé plus haut ainsi que le Semon de Bassui avec ses lettres (p213 à 257).

Le sermon commence ainsi :
"Si vous voulez vous libérer des souffrances de la naissance et de la mort successives, vous devez apprendre à connaître la voie directe qui permet de devenir un bouddha. Cette voie consiste à connaître votre propre Esprit." Vous pouvez lire la suite ici

Dans ses lettres on trouve ce genre de propos :

" A ce moment-là vous devez vous interroger de plus en plus sans provoquer aucune pensée : " Mon Esprit n'a aucune forme au sens où nous l'entendons, alors Qui est Celui qui entend le bruit de milliers de choses? " Si vous pouvez avancer jusqu'au bout, le vide sera brisé et votre Visage originel avant d'être né de vos parents apparaîtra. Ce sera semblable à un homme profondément endormi qui se réveille soudain et ses milliers de rêves se brisent en conséquence sur le moment. Parvenu à ce point rencontrez vite un bon clerc pour recevoir sa critique. Si vous ne parvenez pas à l'Éveil en cette vie, même au moment de la mort soyez uniquement sur le chemin de la réflexion comme un feu qui s'éteint, sans y mêler d'autre vigilance. Ainsi vous pourrez parvenir à l'Éveil dès la naissance à une vie prochaine. (...). Si vous parvenez à l'Éveil de vous-même en faisant attention profondément à Celui qui entend ces sens, toutes ces paroles seront inutiles. Cordialement Vôtre. "le début de la lettre se trouve ici
 L'acuité du propos est vraiment extraordinaire.

A la fin du livre on trouve une traduction d'Uji de Dogen sans trop savoir ce qu'elle fait là d'autant plus que le texte n'est pas commenté. Ce passage est censé donner une idée de la manière de penser de Dogen. Pour ma part, Uji n'est pas le texte de Dogen que j'affectionne le plus.

Dans Uji Dogen dit seulement qu'il ne faut pas considérer le temps uniquement comme quelque chose  qui passe et qui serait indépendant de nous, ni que dans le temps, les choses et les êtres seraient indépendantes les unes des autres en fonction de leur temps propre."Toute chose vivante représente la totalité : un brin d'herbe..." "demandez-vous s'il existe ou non des êtres ou des mondes qui ne soient pas inclus dans ce temps présent" Ce qui semble appartenir au passé appartient en fait au présent. Il n'y a pas de séparation. Que l'on considère le temps comme extérieur à nous lorsque nous sommes dans l'illusion,  ou comme identique à nous lorsque nous sommes éveillés le temps passe quand même. Seulement quand on pense que le temps passe, il est trop tard, la vie est passé comme un rêve. En revanche quand on s'identifie au temps, chaque seconde est précieuse car elle est riche de l'éternité si l'on définit l'éternité comme l'instant ou coïncide le passé le présent et le futur. Réduire le présent au seul instant est aussi absurde que d'imaginer que le passé ou le futur existerait indépendamment de ce seul instant présent. L'illusion c'est de croire que celui qui ne se baigne jamais dans le même fleuve est toujours le même alors qu'il change à chaque instant exactement comme le fleuve. Faire zazen permet de prendre conscience que nous sommes le fleuve et que nous sommes tellement dedans que personne ne s'y baigne. Le bébé est partie avec l'eau du bain ou plutôt nous sommes le bébé qui est partie avec l'eau du bain même si le bébé et l'eau ont maintenant plus de 40 ans et que le bébé finira par s'évaporer comme l'eau pour rejaillir un peu plus loin sous une autre forme après avoir plus ou moins tout oublié.

Le texte se conclut ainsi "Et du fait que vous et moi sommes du temps, la pratique de l'illumination en est aussi."

C'est l'occasion de comparer les traductions

Dans la traduction de Y. Orimo :
 "Si les choses ne s'entravent pas les unes les autres, c'est comme si les temps ne s'entravaient pas les uns les autres. C'est pourquoi il y a les cœurs de l'Éveil qui se déploient en même temps ; ce sont les temps qui se déploient dans le même Cœur de l'Éveil. Il en va de même pour la pratique et la réalisation de la Voie.
C'est en m'y plaçant moi-même que je les vois. Tel est le principe de la voie selon lequel le soi est le temps."
 Dans celle-ci :
"Aucun objet s'oppose à un autre. En conséquence qu'aucun temps ne s'opposent à un autre. En conséquence, l'orientation initiale de chaque esprit vers la vérité existe dans le même temps, et pour chaque esprit il y a, de même, un point de départ temporel dans son orientation vers la vérité. Il en va de même pour la pratique de l'illumination. L'homme s'identifie avec le monde, c'est à dire avec le temps"
 Vous pouvez comparer avec 7 autres traductions ici

Peut-être que si je préfère la traduction de Y. Orimo c'est aussi parce que je m'y suis habitué. En même temps je comprends mieux avec Y. Orimo que si je déploie dans le temps le cœur de l'éveil par ma pratique je ne fais alors qu'un avec tous les bouddhas.

Bon j'avoue, suis bluffé par le dernier témoignage de Mrs D. K. surtout quand on lit Dogen juste après et quand on s'intéresse à Mujo Seppo, la prédication sans parole:

 "Le monde physique est une infinité de mouvement de temps existentiel, mais c'est en même temps une infinité de silence et de vide. Chaque objet est transparent, chaque chose a son caractère intérieur propre, son propre karma, sa propre "vie dans le temps", mais en même temps il n'y a d'espace vide nulle part, de lieu où un objet ne se fonde pas en un autre" (...) "quand je regarde des visages, je vois un peu de la longue chaîne de leurs existences passées, et parfois un peu de leur avenir. Les existences passées s'éloignent derrière le visage apparent mais y laissent leur empreinte. Lorsque je suis seule, j'entends une "chanson" sourdre de chaque chose. Chaque chose a sa propre chanson, et les humeurs, les pensées, les sentiments ont la leur également. Pourtant, derrière cette variété infinie, tout cela se fond en une unité inexprimablement vaste."
A la lecture de ce dernier passage et si on la met en parallèle avec celle de Dogen

"chaque chose a sa propre "vie dans le temps", mais en même temps il n'y a pas de lieu où un objet ne se fonde pas en un autre" Mrs D. K.

"Si les choses ne s'entravent pas les unes les autres, c'est comme si les temps ne s'entravaient pas les uns les autres." Dogen

On comprend que ce que dit Dogen n'a rien de trivial mais en même temps une compréhension purement intellectuelle est délicate car dire que les choses ne s'entravent pas parait trivial mais dire qu'elles se fondent les unes dans les autres dépasse l'entendement. On ne peut qu'être d'accord avec Mrs D. K. lorsqu'elle dit "les mots sont maladroits et simplistes".

Personnellement je me situe dans cet entre-deux. J'ai entre-aperçu que ce que dit Dogen n'est pas trivial mais en même temps je n'ai pas une perception claire de ce que dit Mrs D. K.

Ce qui me semble clair en revanche c'est que je m'inscris en faux contre "la doctrine Sotoshu (qui) consiste à réaliser shikantaza (seulement assis) et sokushinzebutsu (l’esprit lui-même est Bouddha)" J'y vois une réduction abusive des propos de Dogen. (voir Shikantaza dans le Sôtô zen de M° Dõgen)

Je ne dis pas que c'est faux mais quand on lit attentivement Dogen, on voit clairement que sa pensée résiste à toute tentative de réduction.

Par exemple dans "Shizen-biku : Le moine ayant atteint le quatrième stade de méditation" (Tome 8) Dogen dit "La loi de l'Eveillé n'a jamais eu pour essentiel la vision de la nature de l'Eveillé".  La Sotoshu peut remballer son sokushin zebutsu (l’esprit lui-même est Bouddha). J'exagère un peu car pour Dogen comprendre ce qu'est le cœur qui déploie le cœur de l'éveil est l'un des points central du Shobogenzo mais on ne peut réduire le Shobogenzo à ce point. Dogen critique vertement le caractère égocentrique de sokushin zebutsu 即心是仏 l’esprit lui-même est Bouddha)

"Sachez-le, la Loi de l’Éveillé est à étudier justement en abandonnant la distinction entre moi et l’autre. Si l’obtention de la Voie ne consistait qu’à connaître le Soi en tant qu’Éveillé, jadis, l’Éveillé-Shâkyamuni ne se serait pas donné de la peine pour conduire les êtres vers la Voie." Dogen

De même on ne peut réduire la pratique à shikantaza si les deux aspects de shikantaza sont uniquement:

- L’emphase sur zazen et le rejet des autres pratiques
- Le rejet de zazen comme moyen pour arriver à une fin (unicité de la pratique et de la réalisation)

Ces deux aspects oublient dans la pratique, l’éthique qui consiste, pour Dogen, à faire passer autrui sur l'autre rive avant soi ce qui suppose apprentissage (au sens pratique d'aider les autres et d'être aidé par les autres) et étude (au sens intellectuel).

De plus il ne faut pas, à mon avis caricaturer ou exagérer l'idée que zazen n'est pas un moyen pour arriver à une fin. Certes il y a bien non dualité entre pratique et réalisation mais zazen est bien un moyen pour développer l'esprit d'éveil c'est à dire déployer le cœur de l'éveil afin d'aider tous les êtres à passer sur l'autre rive dans la joie et la bonne humeur. Évidemment, ce n'est pas une fin au sens où une fois que l'on aurait atteint l'autre rive, la pratique n'aurait plus aucun sens. Dans "Les trois piliers du zen" il est semble évident que ceux qui ont le kensho comprennent alors immédiatement la nécessité de la pratique quotidienne afin d'approfondir celui-ci.

Néanmoins je préfère le  zen saijojo (shikantaza) au  zen daijo (qui a pour objectif le kensho) car je reste persuadé qu'on a tout intérêt à ce que le kensho reste implicite ou inconscient de manière à ne pas chuter dans les enfers par orgueil comme c'est le cas du moine ayant atteint le quatrième stade de méditation.

De là à dire qu'il n'y a rien à chercher en zazen « rien à atteindre, rien à illuminer ». Je ne suis qu'à moitié d'accord. Je suis d'accord au sens où il faut se dépouiller de toute avidité même à l'égard de l'éveil mais en même temps plus ou moins inconsciemment il faut rechercher le trésor de l’œil et le transmettre.

Promenade matinale après Zazen - 11 novembre 2016

"Le Maître est la cloche, le disciple son écho." Dicton zen

Cité par Henri Brunel dans Le moustique.




Lors de cette sesshin j'ai souvent eu le sentiment  d' "avoir mauvais esprit", sans trop comprendre pourquoi. J'ai trouvé sur internet ce que signifie cette expression :

"Avoir mauvais esprit est une tournure d'esprit, une manière d'envisager les choses avec une saine méfiance, de chercher au delà des apparences quant aux intentions et aux motivations des actions d'autrui et de soi-même.

Par ailleurs, l'humour n'étant drôle que s'il n'est pas "gentil", il requiert d'avoir mauvais esprit, justement. Alors détendez-vous, pratiquez l'humour noir, prenez autrui à contrepied."

Dans un temple zen, les rares fois où l'on parle c'est souvent pour se prendre mutuellement  à contrepied ce qui est souvent assez drôle. Cependant, à ce jeu là, je ne gagne pas à tous les coups.

Étienne Zeisler - Le chant de l'illumination silencieuse

Étienne Zeisler était un disciple de Maître Deshimaru. Il était très apprécié, à tel point qu'on en entend régulièrement parler plus de 25 ans après son décès. Cela donne envie d'y regarder d'un peu plus près.
A première lecture ce qui me surprend le plus dans ces kusen publiés en 1988 ce n'est pas tant sa proximité avec Deshimaru que la distance qu'ont pris avec les années les autres disciples de Deshimaru à l'exception peut-être de Kosen Thibault.
Peut-être n'ai-je pas encore assez lu Deshimaru pour vraiment percevoir ce qui fait le propre de la pensée d'Etienne Zeisler. Néanmoins il y a quelques idées que je vais reprendre ici.

Des langues de vipères très présentes sur un forum reprochent aux dojos qui sont affiliés à l'AZI, l'utilisation envahissante des kusen qui prendraient trop de temps sur la méditation qui est censé être sans objet et silencieuse. Dans le dojo dans lequel je vais qui est affilié à l'AZI la durée des kusen est très variable et n'est pas systématique (jeudi dernier il n'y a pas eu de kusen du tout). Même si je milite tout de même un peu pour que les kusen ne soient pas trop longs, j'ai rigolé en lisant les propos d'Étienne Zeisler

"Quelqu'un m'a dit : "les kusen, c'est trop bruyant, ça me dérange." C'est mieux d'être dérangé par la Voie que de suivre vos propres pensées. Quoi qu'il en soit vous seul pouvez comprendre au fond de votre esprit (...) Réaliser que votre grand sac de peau puant n'est pas différent de Bouddha, et comprendre que Bouddha se manifeste dans une simple feuille de salade. Si vous ne suivez que le cheval et le singe, vous ne pourrez jamais comprendre, même si vous pratiquez durant des années" 3 août 1986

Que Bouddha se manifeste dans une simple feuille de salade fait référence au Tenzo Kyokun dont ce kusen est un commentaire et donc incidemment à Mujo Seppo. 

Je viens de passer plusieurs jours à la Gendro et j'ai vraiment été étonné par la capacité de Gérard Pilet à venir bousculer mes propres pensées pendant les kusen ne serait-ce que par la fermeté de sa voix qui est très différente de celle, plus douce, que l'on peut entendre lorsqu'il est invité à Sagesse bouddhiste. J'ai ainsi pu mesurer, à nouveau,  la distance qui sépare le fait de lire des kusen et le fait de les entendre dans le grand dojo de la Gendronnière entouré de plus d'une centaine de pratiquants. L'acoustique du lieu est extraordinaire. C'est vraiment une chance que de pouvoir pratiquer là-bas. La Sangha de Gerard Pilet est très bienveillante et accueillante.

La deuxième partie des kusen est un commentaire des règles du dojo de Maître Dogen (Ju Undo Shiki). On peut lire différentes traductions de ce texte mais j'avoue avoir une préférence pour celle-ci même si j'ignore si c'est la traduction la plus proche de l'esprit de Dogen.

En effet je préfère :
"Si vous vous rendez compte que votre présence ici est une erreur, vous devez partir"
à cette autre traduction
"Si quelqu’un a été admis par erreur nous devrions, après réflexion, les inviter à partir."

Logiquement les règles devraient s'adresser à ceux qui entrent pour la première fois et non pas à ceux qui font déjà partie de ce dojo. Je suis extrêmement hostile à l'idée d'exclure des gens du Dojo, y compris ceux dont la motivation ne semble pas sincère. Il est déjà arrivé que des gens bizarres viennent au dojo, mais la pratique de zazen est en elle-même suffisamment difficile pour que ces personnes ne reviennent pas d'elle-même sans qu'il soit besoin d'en rajouter. J'ai eu des échos de gens exclus de dojo par lettre recommandé. De mon point de vue, même si j'ignore les tenants et les aboutissants de cette histoire, c'est une hérésie. J'ai le sentiment que Deshimaru avait une attitude très inclusive mais je n'y étais pas.
Le commentaire d'Etienne Zesler va en ce sens : "Si  vous ne saisissez pas le signification originelle, vous serez obligé de partir, vous serez fatigué, épuisé, vous ne ferez que perdre votre temps"..." Quelqu'un qui venait ici, pratiquait depuis longtemps, à la fin, il est parti. Il a dit "Je n'y crois plus"

Les règles de Deshimaru qui sont calqués sur celles de Dogen vont dans le même sens :

"Dans ce dojo, ne sont admises que les personnes sincères et concentrées, voulant pratiquer la Voie en continuant zazen. Ceux qui viennent dans un autre esprit doivent y réfléchir"

Dans le traduction d'Etienne Zesler:

"Aucun moine ne peut être admis dans ce dojo s'il ne recherche pas sincèrement la Voie et s'il n'a pas une forte détermination à rejeter les honneurs et le profit. Personne ne peut entrer dans ce dojo s'il a le but d'obtenir le satori. Si vous vous rendez compte que votre présence ici est une erreur, vous devez partir"

En revanche j'ai du mal à comprendre une partie de la règle n°3 :
"Ne lisez aucun livre ici, même pas des livres sur le zen"
Pour prendre connaissance de cette règle il m'a bien fallu ouvrir un livre sur le zen. Etienne Zesler a beau jeu d'ajouter "Même si vous vous donnez beaucoup de mal pour lire des livres sur le zen, en fait vous n'apprenez que des idioties" heuh? cette phrase est-elle auto-référentielle?

Trêve de plaisanterie, je pense que cette règle est limité au dojo car je vois mal comment on pourrait prendre connaissance du Trésor de l’œil autrement qu'en lisant Dogen.


Eric Rommeluère - S'asseoir tout simplement - L'art de la méditation zen

Très beau petit livre de 2015 dans lequel Eric Rommeluère parle de son expérience de la méditation. L'évocation des trois maîtres (Deshimaru Taisen, Ryôtan Tokuda-Igarashi et Gudô Wafu Nishijima) qu'il a fréquenté est très touchante. Il me semble que l'un des enjeux de ce livre est de montrer que l'assise en zazen n'est pas une technique même si l'attention à la respiration est souvent préconisé. Mais cette attention ne doit pas évacuer le réel.

"A chaque instant, notre rencontre avec le réel est neuve, et d'une certaine façon, nous sommes toujours éveillés par le réel. Pourtant, la rencontre reste imparfaite, obstruée par les perceptions, les attentes et les projets qui nous empêchent de voir authentiquement le réel. Parfois cependant un évènement inattendu surgit dans la procession des moments qui passent et démaille avec force et virulence les attentes et les projets. Un tel événement nous démontre immédiatement et soudainement que nous sommes toujours incarcérés dans le jeu de nos habitudes et de nos pensées. Nous n'apercevons qu'une semblance de réel. Confronté à l'inattendu, quelque chose que nous n'attendions pas surgit, et ce qui surgit n'est autre que le réel. Nous sommes interpellés jusqu'au plus profond de notre cœur ; nous sommes défaits par la fulgurance. Mais si nous savons l'entendre, la soudaineté nous invite à nous dépouiller de notre ancienne peau. Dans le même instant, nous mourons et nous naissons, nous nous quittons et nous nous retrouvons" (p48-49)

Il y a souvent un malentendu sur l'éveil qui nous fait croire qu'il nous fait plus qu'il nous défait. Sur le site agoravox il y a un article qui montre bien ce type d’erreur : 

"    Ah le satori … C'est la grosse plaisanterie des pratiquants entre eux. Tout le monde en parle mais PERSONNE ne l'a vécu, même pas les "maitres" ? Et comme ces "maitres" (entre guillemets) n'ont jamais expérimenté le satori, ils ont trouvé un moyen commode pour écarter toute velléité de connaissance. Il faut pratiquer sans but ni esprit de profit (mushotoku en japonais). Autrement dit, ne rien attendre et surtout ne pas vivre des expériences. Conséquence, il ne faut pas leur avouer avoir vu la lumière, senti un chatouillement bizarre dans la colonne vertébrale ou le cervelet suivi d'une illumination (kundalini) comme beaucoup l'ont vécu sans avoir rien demandé (comme moi !) et sans oser en parler dans leur entourage.
Quoi, quoi, vous répond le maitre, vous prétendez avoir vu la lumière !
Ouh la, mais c'est très mauvais il faut absolument vous méfier de ce genre d'expérience.
Pensez donc, lui, il ne l'a jamais vu ;-)"
On voit bien comment ici l'égo récupère ce type d'expérience pour nous faire croire que nous serions au-dessus du maitre car si le maître  n'y accorde aucune importance c'est peut-être qu'il n'en a pas vécu de semblable. Vous aurez beau expliquer à cette personne que c'est très bien d'avoir vu la lumière mais qu'il n'en est pas plus avancé pour autant et que c'est seulement la pratique qui lui permettra d'approfondir cette expérience, il s'attachera malgré tout à ce type d'expérience et souhaitera en revivre d'autres. Sur fond d'ennui profond, les moments d'extases sont des moments très plaisants. Seulement s'ils ne défont pas notre arrogance, ils risquent fort de nous transformer en illuminé sectaire. Il n'est pas interdit d'en parler mais il faudra s'attendre à ce que le maître nous fasse redescendre sur terre. Il faut aussi se méfier de ce que disent les maîtres, en public, il disent qu'ils ne sont pas éveillés et qu'ils ignorent superbement ce qu'est le satori. Kodo Sawaki dit volontiers qu'il n'a jamais fait cette bêtise. En privé, si vous savez les prendre, ils sont susceptibles de vous raconter des choses étonnantes mais cela relève de leur intimité. Ainsi, vous pouvez croiser des anciens (qui font partie de l'AZI depuis des lustres) qui vous diront qu'aucun des maitres de l'AZI n'est éveillé. Aucun ne prétend l'être, d'ailleurs. Cependant, si vous savez écouter, vous comprendrez que l'éveil n'est peut-être pas ce que vous imaginez.

De toute évidence, s'éveiller ne consiste nullement à vivre des extases dans la solitude d'une vie bien rangée mais bien au contraire, comme le dit Eric Rommuluère, "à entrer dans la boue et dans la fange et à considérer la vie comme un défi d'instant en instant renouvelé".

---------- Extrait d'un forum------------
Utilisateur2016 a écrit:
Personellement, le shikantaza ne me semble pas s'opposer à la polémique

Sb a écrit: 
Shikantaza est mushotoku, sans but ni profit.

Eric Rommeluère, dans S'asseoir tout simplement, polémique à propos de Vipassana et de la méditation de Pleine Conscience.

Il leur reproche d'exclure le discernement.

La "dimension d'analyse est évacuée dans le mindfulness"... "une forme d'attention dénudée de sa fonction examinatrice"

Il oppose ces formes de méditation au Bouddhisme engagé

"Un pratiquant du dharma n'est pas simplement convié à explorer le monde de ses émotions, de ses sensations, de ses pensées ou le monde impersonnel des relation humaines, mais à découvrir son implication dans la sphère sociale et civile (...) Les enseignements du Bouddha offrent une tout autre conversion de notre agir et de notre devenir"

Donc, même si Shikantaza est mushotoku, à un moment ou à un autre on retrouve le discernement dont la polémique est la forme la plus extrême. La polémique ne doit pas exclure la parole juste. 


"Par parole juste, nous entendons surtout éviter le mensonge et à l’inverse, s’exprimer d’une manière vraie, authentique. C’est aussi une parole qui va éviter de blesser, de faire souffrir : la manière de s’exprimer sera également très importante." http://blog.dogensangha-martinique.org/?p=115

Roland Yuno Rech - Yogacara - Une philosophie de la Conscience.

Il s'agit d'un petit livre intéressant mais un peu court, à l'image de sa bibliographie (p78). Il est le compte rendu d’enseignements donnés en 2009. Les mondos prennent beaucoup de place et le côté question-réponse rend le livre parfois un peu léger. Il ne fait que confirmer ce que je savais déjà. Il faudra peut-être que j'aille voir ailleurs pour bousculer mes préjugés.

La question que traite Roland Rech est celle de ce que peut apporter ces enseignements pour notre pratique. Il ne s'agit donc pas d'un exposé théorique et philosophique sur le Yogacara. Même si, le terme de Yogacara dans lequel résonne le mot Yoga montre bien qu'il y a bien une orientation pratique, au sens corporel de cette philosophie. 

Je laisserais de côté les considérations historiques de Roland Rech sur la manière dont ces enseignements du Mahayanna prennent place dans les discours du bouddha historique par rapport à ceux du bouddhisme ancien. L'idée que les développements du Mahayana auraient été présents dès le départ me semble, pour ma part, peu vraisemblable. Il me semble davantage être une adaptation et une relecture des textes au regard des critiques qui  sont apparues postérieurement sur les discours originels. Comme le dit très bien Dogen qui ne se fait aucune illusion sur le caractère inauthentique de certains textes tardifs du Mahayana, à partir du moment où ils ont été adopté par la tradition (celle des patriarches) ils deviennent aussitôt des textes authentiques. Dogen va jusqu'à dire, je caricature à peine, que ce n'est pas la peine d'aller en Inde pour vérifier. Qu'il y ait un écart considérable entre les textes indiens (notamment ceux du Yogacara) et la pensée de Dogen, n' a rien de surprenant. Je rappelle que dans le texte Mujo Seppo, Dogen parle de la relative liberté des éveillés à l'égard des textes du passé. 

Pour Roland Rech, si le Yogacara est apparu c'est parce que précédemment l'accent était tellement porté sur la vacuité que cela avait parfois pour conséquence une position trop nihiliste. On retrouve d'ailleurs cette même idée en occident lorsque Dostoïevski fait dire à Ivan Karamazov "Si Dieu n'existe pas, tout est permis”. On pourrait dire si tout est vacuité alors tout est permis. 

"Le Tout-Esprit" serait alors une sorte de détour, de moyen habile pour amener progressivement les êtres humains à accepter la vacuité. Et dans ce sens les enseignements du Yogacara sont considérés comme des enseignements provisoires, pas par les maîtres du Yogacara bien sûr, mais par les gens qui les critiquent, c'est à dire par les gens du Madhyamika (école du milieu) issu de Nagarjuna."

Le Yogacara va donc insister sur les processus mentaux de manière à purifier progressivement le mental.

On notera au passage que Roland Rech se trompe lorsqu'il dit que l'idéalisme s'oppose à l'empirisme (p31). La position de Berkeley est à la fois idéaliste (rien n'existe en dehors de l'esprit) et empiriste (tout y entre par le biais de l'expérience). Jean Marc Vivenza souligne d'ailleurs la parenté entre le Yogacara et la pensée de Berkeley. Néanmoins, il est vrai, un idéaliste n'est pas nécessairement empiriste.

Le Yogacara ajoute à la sixième conscience (les cinq premières sont liés au cinq sens), le mental, deux autres consciences : la conscience mentale souillée et la conscience réceptacle (alaya). Ceci permet d'expliquer d'une part la question de la continuité des flux de conscience entre deux renaissances et d'autre part le fait que la conscience réceptacle lorsqu'elle est purifié renvoie à la nature de bouddha.

Le plus intéressant c'est évidemment les moyens employés pour purifier la conscience réceptacle. Je ne vais pas dévoiler tout le livre... En deux mots, il y a d'abord l'étude puis la contemplation, puis le retournement de la conscience puis la bouddhéité. Seulement, cela ne se fait pas en cinq minutes montre en main mais en dix terres (et autant de renaissances, je suppose). Les six premières sont consacrés à la pratique des paramitas (don, générosité, compassion...) , des préceptes sans oublier la méditation,  dans la septième, les moyens habiles, la huitième les pouvoirs extraordinaires, la neuvième l'enseignement du Dharma comme un bouddha et la dixième il est totalement réalisé et libre.

On notera quand même que :
"La conscience réceptacle est un réceptacle tant qu'il y a des graines dedans. Mais quand il n'y a plus de graines ce n'est plus un réceptacle" mais quand la conscience réceptacle (alaya) disparaît elle devient la conscience pure (amala) sans objet, "en tous les cas sans objet d'attachement". 

Arrivé à la dixième terre il y a une indifférenciation entre le niveau relatif et le niveau absolu. Et comme il y a des imbéciles partout il y en toujours pour croire qu'ils sont arrivés à la dixième terre et qu'ils n'ont plus besoin de pratiquer et qu'il peuvent allègrement franchir tous les interdits.

"A la gendronnière, il y avait des moines comme ça qui restaient au bar toute la nuit à se saouler et à faire des tas de bêtises en disant "Bonno soku bodai" (identité entre les passions et l'éveil)"
 Aujourd'hui, à la gendro, les adeptes d'un zen tantrique (ou ésotérique) semblent beaucoup moins nombreux.

La deuxième partie du texte consacré à l'attitude de Dogen vis à vis du Yogacara est très intéressante mais j'en ai déjà parlé.

Au Yogacara s'oppose l'école du milieu qui rejette l'éternalisme et le nihilisme.

"Dogen se tient dans cette position très Madhyamika (voie du milieu) de combattre toute tentative de substantialiser non seulement la conscience , mais surtout quoi que ce soit" (...)"... Pour Dogen, l'esprit n'est pas séparé de toute chose. Ce n'est pas la source ou l'origine. Ce n'est pas une entité indépendante"(...) Dogen dénonce complètement l'erreur (...) qui consisterait à croire que puisque l'esprit lui-même est bouddha, puisque nous avons un esprit apparemment, nous sommes déjà bouddhas et il n'y a pas besoin de pratiquer"(...) De même, maintenant, à notre époque, il y a une certaine compréhension de la spiritualité qui est, je crois, très influencé par le Vedanta mal compris de Ramana Maharshi, et qui encourage une forme d'éveil solitaire en dénonçant la pratique. En disant "il n"y a rien à pratiquer, vous êtes déjà le vrai Soi, l'atman."(...) " Dans la pratique du zen, on insiste justement sur la pratique, la transmission de maître à disciple"
 Et mujo seppo dans tout ça?

"Même les murs, les tuiles, les pierres, tous les phénomènes actualisent l'esprit des anciens Bouddhas, donc bien au-delà de la dualité matière-esprit"
 Et comme Mujo c'est également l'impermanence:
"La véritable libération ne peut être réalisée que dans la compréhension profonde de l'impermanence comme impermanence (...) Le soleil, la lune, les étoiles, et même à l'intérieur de notre corps ça apparaît et ça disparaît. C'est l'expérience fondamentale, la réalité fondamentale que nous partageons avec tous les êtres."

Ephoron virgo

Deux images qui nous invitent à méditer sur le caractère éphémère de la vie. Il s'agit de cadavres de femelles éphémères (Ephoron virgo) qui ne vivent que quelques heures avec des ailes. En jaune ce sont les oeufs que la femelle a pondu juste avant de mourir.

Mujo c'est également l'impermanence. 

Roland Yuno Rech - Mondo - Yogacara -

Je reviendrais un peu plus tard sur le livre de Roland Rech sur le Yogacara. Je voudrais d'abord parler du Mondo donné par Roland Rech à la sesshin de Pegomas le 09/06/2012 16 h que l'on peut écouter là
http://zen-nice.org/gyobutsuji/1057/mondo-yogacara/

à 2'02 "Je ne suis pas d'accord avec toutes les écoles idéalistes de la philosophie Yogacara... croire que toute la réalité n'est que la projection de notre esprit" "Je ne suis radicalement pas d'accord parce que (...) "le réel c'est ce contre quoi on se cogne".

"Là où je rejoins certains aspects du Yogacara c'est dans l'idée que le réel est inconnaissable. On ne peut le connaitre qu'à travers nos organes de perception, nos représentations. Une mouche ne va pas percevoir le monde de la même manière"

à 6"16 Ce n'est pas seulement ce que nous montrent nos perceptions c'est également teinté par notre subjectivité" " On projette des choses sur nos perceptions" mais "Ce n'est pas une construction à partir de rien". A 8'29 Le Yogacara "c'est un effort des bouddhistes qui s'aperçoivent que la plupart des gens ont énormément de mal à accepter la vacuité. Il y a une résistance de l'ego à comprendre la vacuité qui tranche son fondement. Peut-être par le biais de la conscience ça peut aider à comprendre que tout est vacuité. On dit alors "tout est esprit." mais ça revient au même.
 Je ne pense pas que cela revienne au même et je ne suis pas certain que l'argument selon lequel le réel est ce contre quoi on se cogne suffise à faire changer d'avis un idéaliste. Pour moi l'enjeu ne se situe pas au même endroit. En fonction de la manière dont on considère le réel on n'agira pas forcément de la même manière. Il se pourrait que les idéalistes aient raison en théorie, le réel n'est peut-être que la projection de la conscience universelle mais s'ils n'agissent pas comme si le réel est réel, c'est à dire avec le souci du réel qui advient, il se pourrait qu'ils aient tort en pratique.

De toute façon il n'y a que le réel qui puisse faire changer d'avis un idéaliste, certainement pas des mots sur un blog. Que le réel prêche le Dharma implique que celui qui n'a pas rencontré ce réel, n'entendra pas les mots qui tentent de le dire. 

Maître Dôgen - Seul un éveillé avec un autre éveillé [Yuibutsu yobutsu] - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 1


"Lorsque la non-compréhension revient au milieu de la compréhension, celle-là ne contrecarre pas celle-ci. Il y a pour la compréhension et pour la non compréhension, le cœur du printemps et la voix de l'automne"(...) "La compréhension doit être le moment où se présente la concentration de soi, la voix étant déjà entrée dans les oreilles."(...) "Nulle lacune, même la plus petite, ne doit exister entre le cœur et le Corps dans leur nudité totale"

Dans ce texte Dogen explique qu'il est normal de ne pas comprendre la voie au début et qu'il suffit de suivre la trace invisible des éveillés. Au début on agit nécessairement par mimétisme. Quand on commence à comprendre intellectuellement la voie c'est que l'on a déjà comprise avec le corps. C'est en comparant les traces des éveillés que l'on clarifie sa propre trace.

"C'est en mesurant la trace des éveilles que j'arrive à clarifier ma propre trace"

Maître Dôgen - Discourir du rêve au milieu du rêve [Muchû setsumu] - 1242 - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 1

"L'univers entier qui se dévoile comme la rosée est un rêve! Ce rêve n'est autre que cent herbes réfléchissant le soleil et la lune. C'est précisément ce qui vous incite à douter, ce qui vous paraît pêle-mêle. A ce moment-là (il y a) l'herbe du rêve, l'herbe du milieu, l'herbe du discourir, etc. Quand on étudie ces herbes, leurs racines, tiges, brins et feuilles, ainsi que leurs fleurs, fruits, lumières et couleurs constituent tous ensemble un grand rêve! Ne vous trompez pas en les considérant éphémères et nébuleux comme des rêves!"

En effet, à imaginer que nous rêvons (ou que tout est le produit de notre conscience), nous pourrions passer à côté du réel lui même quand bien même rien ne le distingue du rêve. Ce n'est pas parce que le rêve est un rêve qu'on ne doit pas étudier ce qui le constitue. Car ce qui constitue le rêve n'est pas moins susceptible de nous éveiller que le réel lui-même.

"C'est au milieu du rêve qu'il y a le premier déploiement du cœur de l'éveil, la pratique, l'Eveil complet et parfait sans supérieur et le Nirvana. Le rêve et l'Eveil, chacun d'eux est l'Aspect réel! L'un n'est ni plus grand ni moindre que l'autre"(...)
Ce n'est pas forcément parce qu'on a entendu parler du Dharma pendant le jour que l'on va en rêver la nuit mais c'est parce qu'on entend parler le dharma pendant la nuit qu'on va déployer le cœur de l'éveil. Les êtres inanimés sont parfois plus bavards la nuit pendant le rêve que le jour.

Dans la présentation de ce texte Yoko Orimo dit que l'expression "Discourir du rêve au milieu du rêve" vient du Sûtra de l'accomplissement de la Sagesse. Le passage qu'elle cite se termine par "c'est l'absence de la nature propre qu'il faut obtenir" et Y. Orimo écrit: "c'est l'enveloppement de la pensée (cittâvarana) dont il faut se débarrasser pour obtenir l'Eveil"

Je me demande si on se débarrasse de l'enveloppement de la pensée (peut-être est-ce la conscience?) s'il ne reste pas la pensée (et la non-pensée) qui ne se distingue pas du dharma lui-même. Dit comme ça ce n'est pas très clair mais c'est bien le point qui reste à éclaircir.

Si cittâvarana cittâ c'est l'esprit et si varana signifie englobant la question qui demeure c'est qu'est-ce que la pensée chez Dogen? Quelle est sa nature?

Dogen est clairement hostile à l'idée de conscience réceptacle:
"Contenir  les  dix  mille  êtres  désigne  l’océan.  La  signification  de  cette expression, ce n’est pas qu’une chose quelconque contienne les dix mille êtres, mais que contenir, c’est dix mille êtres. Ce n’est pas dire que l’océan contient dix mille êtres ; mais contenir dix mille êtres, c’est l’océan et c’est tout" Concentration de soi du sceau de l’océan [Kai.in zanmai]
 Les dharma n'ont pas besoin d'un contenant, d'une conscience qui les pense pour pouvoir exister. Seulement pour penser les dharma ne doit-il pas y avoir une équivalence entre les pensées et les dharma?

« L’aspect véritable, ce sont les dharma : les dharma c’est l’aspect tel quel, l’essence telle quelle, le corps tel quel, la pensée telle quelle, le monde tel quel, nuages et pluie tels quels. C’est aller, rester, s’asseoir, s’allonger tels quels, souffrir et se réjouir, se mouvoir et demeurer en repos tels quels. [...] C’est la transmission et la réception de la loi telles quelles, l’exercice
de l’étude et le discernement de la voie tels quels, la constance des pins et la périodicité des bambous tels quels. »  Shohôjissô [Le véritable aspect des dharma]
Les aspects du monde sont réels car le réel se donne à voir comme aspect, y compris dans le rêve. 
"Même s'il est dit qu'on s'égare au milieu de l'égarement, justement pratiquez avec ingéniosité et étudiez à fond cette expression qui exprime l'égarement au milieu de l'égarement pour y trouver le passage perçant le ciel. Le discourir du rêve au milieu du rêve est les éveillés, et les éveillés sont le vent, la pluie, l'eau et le feu."

Ce serait s'égarer de croire qu'en perçant le ciel on accèderait à un autre monde que le monde tel qu'il est. C'est au cœur du samsara que se trouve le nirvana.  Il n'y a pas d'autre monde.




Pierre Nakimovitch - Dôgen et les paradoxes de la bouddhéité : Introduction, traduction et commentaire du volume De la bouddhéité

Ce texte n'est pas facile à lire mais il est passionnant car il reste au plus proche de la pensée de Dogen. L'angle de vue de Pierre Nakimovitch est à la fois philosophique, philologique et historique.

L'aspect qui m'a le plus intéressé c'est le refus de Dogen de ce que j'appellerais le psychologisme (ce mot n'apparait pas dans le livre. Nakimovitch parle plutôt de spiritualisme - mais ce mot évoque pour moi autre chose d'encore pire) c'est à dire le refus de la thèse du "Rien que conscience" qui est pourtant une thèse omniprésente dans le bouddhisme.

Partons de la traduction de Y. Orimo :

"Depuis des éons incommensurables, nombreuses sont les personnes stupides qui tiennent la conscience et l'esprit pour la nature de l'éveillé, ce qui fait l'homme digne de ce nom et c'est à mourir de rire!" La nature de l'Eveillé [Bussho] Maître Dogen

Dans le traduction de Nakimovitch cela donne:

"Depuis des temps infinis, des personnes stupides, en grand nombre, ont considéré l'esprit conscient en tant que bouddhéité. En tant qu'homme originaire : c'est à mourir de rire"

Il est bien difficile de dire laquelle des deux traductions est la meilleure pourtant le sens est légèrement différent. Dans la première la conscience et l'esprit sont deux choses différentes et dans la seconde c'est l'esprit conscient qui est visé. Le sens est donc plus restreint. Tout le problème c'est de penser un esprit non conscient comme celui d'une plante ou d'un caillou. A mon avis, il vaudrait mieux éviter le terme de conscience et le terme d'esprit, c'est pourquoi je préfère la première traduction de Y. Orimo quand bien même l'explication de ce texte par P. Nakimovitch me semble lumineuse. Mais la traduction "homme originaire" me semble plus précise et plus juste qu'"homme digne de ce nom" même si je ne connais pas le texte original.

Page 344, Pierre Nakimovitch écrit: "L'unité d'intention de ce paragraphe, c'est l'évocation de la bouddhéité par trois formules qui s'éloignent de spiritualisme et de tout anthropomorphisme : la boudhéité c'est adobe, murs, tuiles, cailloux"(...) "La bouddhéité ne peut être définie par les fonctions mentales qui sont classées parmi les cinq agrégats. Elle n'est conscience ni connaissance" "Losque Dogen critique cette interprétation psychologique, il la qualifie d'hétérodoxe..."(...) Il est (donc) probable que Dôgen vise ici le système du "rien-que-conscience (...) Il ne se réfère pas à Asanga et à la conscience réceptacle, mais à Asvaghosa et à l'océan de la boudhéité" : "envelopper les dix mille êtres" n'est pas le fait d'une conscience, mais de l'océan.
(...) Dôgen affirme l'indifférenciation de la pensée et de la matière... La pensée est vide, vide de spiritualité. Quand elle se cherche dans le monde des dharma, ou parmi les trois mondes, elle se voit comme chose. La pensée ne se trouve qu'aliénée. La réalité de la pensée est un caillou. Sans privilège ni indépendance.
Page 346 "Dès lors, Dogen ne peut qu'écarter la thèse unilatérale du Rien-que-conscience, qui risque de se systématiser et de se figer en spiritualisme substantialiste. Risque reconnu par le texte même d'Asanga : "Les êtres gîtent en la connaissance réceptacle comme en leur moi"... à tort.
"Plutôt que de l'abstraction de l'esprit, il préfère parler de "l'homme originaire" qui "n'exempte pas de la pratique, car la pratique aussi est originaire"(...)"Nul ne devient Buddha dans la clôture imaginaire de l'intériorité, mais seulement par l'extériorisation active"(...)"Apprendre et désapprendre, proposer et critiquer, affirmer et nier, telle est la voie de l'étude. N'est-ce pas ce que fait Dogen sans cesse?"

Oui oui et j'aimerais bien faire pareil, modestement, avec ce blog.



Taisen Deshimaru - Eiheikoroku - Enseignement oral Edition integrale - 10

Dans ce livre on trouve la traduction et les commentaires de quarante-sept des poèmes de Eihei-koroku de Maître Dogen prononcé par Taisen Deshimaru dans ses kusen en 1981.

Il commence par Mujo Seppo. Le sermon sans paroles.

"Le sermon sans paroles
Du Tathagata (de la vérité cosmique)
Qui peut le comprendre?
Un bâton fait d'une branche d'arbre le comprend inconsciemment" Dogen

"Ce poème est très profond. Mujo seppo, ce n'est pas le sermon d'un maître, d'un être humain, mais celui des montagnes et des rivières. C'est la voix de la vallée. On retrouve mujo seppo dans de multiple sutras.
Dans le sutra Kegon: "La grande nature, le nuage, l'Océan, la lune, la montagne, tout fait un grand sermon." Dans le sutra Anda "L'oiseau aquatique, les forêts font une grande conférence" Maître Tozan ainsi que Sotoba, un maître de l'ancienne Chine, disent que "le son du torrent ne s'arrête jamais" Sotoba eut d'ailleurs le satori en entendant le poème suivant de Maître Kaishe:
"La voix de la vallée est un grand sermont
La couleur de la montagne est le corps de Bouddha
Ils chantent le poème des quatrevingt-mille poèmes
Comment expliquerai-je cela à autrui?"

Littéralement, mujo signifie sans émotion, sans considération. Il est important de contrôler ses émotions. Un sutra dit: Même si les huit vents soufflent, ne vous laissez pas émouvoir"(...) "Nous devons prendre garde au futur, nous devons aller au-delà de la civilisation moderne. C'est mujo seppo, l'authentique sermon sans émotion, sans conscience, au delà du sens commun. L'objet ultime de la philosophie et de la religion est toujours mujo seppo.(...) c'est la vérité cosmique authentique, la vérité unique, sans la pensée humaine, située au delà de la pensée vulgaire."

"Un bâton fait d'une branche d'arbre le comprend inconsciemment" Ce vers signifie regarder le monde humain du point de vue de la nature. La montagne, la rivière font des sermons. Pour les comprendre, il faut devenir la montagne, la rivière. Mujo seppo est la voix de la nature, de l'ordre cosmique. La vraie musique comme celle de Beethoven ou de Bach est ainsi. L'homme moderne ne respecte plus cette nature. Tout est déformé à tous les niveaux. La vérité authentique est au delà de toute considération, impossible à saisir par la pensée. Mais pour comprendre cela, il faut arrêter de penser en tant qu'être humain et devenir la montagne. C'est zazen.
Si on reste trop attaché, on ne peut pas entendre mujo seppo dans la vie quotidienne. Les branches, les arbres, les pierres, les montagnes, les rivières comprennent mujo seppo."

Pas mieux.

Promenade matinale après zazen - 16 août 2016.

Je n'ai pas beaucoup de blagues à raconter. Il faut dire que les journées silences sont peu propices aux plaisanteries.

Nous aurons quand même eu le droit plusieurs fois à la sonnerie de l'alarme à incendie notamment pendant zazen. Inutile de dire que personne n'a bougé. Ma voisine de zafu  a quand même sursauté puis elle a fait gassho. L'alarme a également sonné pendant un teisho qui portait sur la parabole de la maison en feu dans le sutra du lotus. Là encore personne n'a bougé.

Taisen Deshimaru - Zen et Karma

Ce texte nous offre un joyeux délire de Taisen Deshimaru de 1977 à Val d'Isère. Certains propos sur le karma se retrouvent mot pour mot dans Zen et vie quotidienne mais heureusement pas tous. Il avait déjà été publié en 1984 sous le titre "La Voix de la vallée : l'enseignement d'un maître zen /  Taisen Deshimaru".

"La voix de la vallée" fait référence au bruit du torrent près du dojo à Val d’Isère ainsi qu'à un poème de Sotoba (Su Dongpo) qui évoque Mujo Seppo (la prédication de la loi par l'inanimé)

"La voix de la vallée donne une grande conférence,
La couleur de la montagne est le véritable corps purifié.
De minuit à l'aube j'entends quatre-vingt quatre mille poèmes
Comment, le jour venu, l'expliquer à autrui"


Dans ce livre Taisen Deshimaru est suffisamment enthousiaste et enthousiasmant pour que ce livre soit une belle porte d'entrée dans l'univers du zen. Cependant, il ne faudra pas y regarder de trop près et ne pas s'attacher aux mots car par moment le texte est un peu confus.

exemple p78:
"... Ce karma du corps et de l'esprit, cet ego, est dépourvu de substance, de noumène. Notre karma, notre ego, est régi par la puissance cosmique fondamentale - de par son interdépendance avec toutes les existences. Aucune substance ne perdure postérieurement à la mort ; et pourtant notre karma est doté d'une existence phénoménale - et il se perpétue éternellement en vertu de son interdépendance avec toute les existences"(...)"Aussi notre désir, notre souhait est de perdurer éternellement, il en est ainsi. Notre conscience peut se perpétuer dans l'éternité du cosmos. Telle est la plus haute joie humaine - le nirvana vivant"

"Aucune substance ne perdure postérieurement à la mort" Parce qu'elle perdure antérieurement? Je croyais qu'aucun phénomène n'était pourvu de substance.
"Notre conscience peut se perpétuer dans l'éternité du cosmos." Quelle est la nature de cette conscience qui peut perdurer dans l'éternité? Si c'est seulement une possibilité qu'elles sont les autres possibilités?

Il peut même sembler contradictoire:
 

D'une part Deshimaru dit p84 :

"Il est nécessaire d'oublier votre corps, de l'abandonner de telle sorte que seul l'esprit demeure."... "Oublier le corps. Ne laisser que l'esprit." 

et d'autre part p170:

A Nyojo qui dit "Abandonnez le corps et l'esprit!" Dogen répond "Esprit et corps abandonnés"

Il faut comprendre que l'esprit qui doit être abandonné dont parle Dogen et Nyojo c'est la conscience personnelle et égotique et que l'esprit dont parle Deshimaru c'est ce que Dogen appelle l'océan de la bouddhéité mais Dogen évite d'en parler en terme d'esprit ou de conscience. Deshimaru dit cela d'une certaine façon p 164 :
"De même pendant zazen : lorsque nous entendons la voix de la vallée, à Val d'Isère, la rumeur du torrent pénètre complètement le corps, il n'y a plus que cela. L'esprit s'anéantit" "L'esprit devient absorbé dans le corps. La pensée s'éteint, et seule la conscience cosmique pénètre le corps"

Sans vouloir être malveillant à l'égard de Philippe Coupey ni lui faire un procès d'intention, je m'interroge sur la place qu'il occupe dans ce livre. Je trouve personnellement l'histoire de Deshimaru et celle de l'AZI assez passionnante. J'aurais bien aimé connaitre le nom des autres personnes qui sont sur les photos p173 et pas seulement savoir où se trouve Philippe Coupey sur la photo. Je m'interroge également sur la pertinence du commentaire de Philippe Coupey

Deshimaru affirme p111 que du point de vue Karmique "les ancêtres n'influencent pas leur descendance" et P. Coupey commente en disant "On est libre de ses parents, on est libre de ses ancêtres... On est libre de son Karma".

Les ancêtres ce sont ceux qui sont au-dessus du degré de grand-père dans l'arbre généalogique et que très souvent nous n'avons pas connu contrairement à nos parents. Si on peut nier les délires phylogénétiques d'un Freud (meurtre du père dans la horde primitive) par exemple, comme influence karmique je doute que l'on puisse mettre les parents dans le même sac sans pour autant tomber non plus dans les excès de la psychanalyse qui se focalisait trop unilatéralement sur le trio œdipien.

Deshimaru vise explicitement l'idée de "malédiction ancestrale":

 'Le passé ancestral ne revient pas hanter les descendants"

En revanche dans le mondo p186 à la question:

Q- Pourquoi certains ont-ils un mauvais karma dès l'enfance
Deshimaru répond
 M- A cause de vos ancêtres (...) avant ce monde-ci le karma ne surgit pas du néant. C'est comme la loi de Mendel (...) le fœtus retrace l'histoire de l'évolution. L'expérience de chacun est différente. Aussi différents karma se manifestent-ils.
On comprend donc qu'on peut difficilement résumer les propos de Deshimaru par "On est libre de ses ancêtres"  L'idée centrale est évidemment que Zazen permet de dénouer ce karma. Seulement on ne dénoue pas ce karma en le niant mais au contraire en l'étudiant.

Depuis Mendel (1822-1884), la phylogénétique a énormément progressé je recommande la conférence ci dessous sur ce sujet:




Il y a aussi ce passage qui ne m'a pas échappé :
"Il est difficile d'accéder à la compréhension du vrai zen. Avec des maîtres authentiques, il n'y a pas de problèmes. Avec le maître Rinzai Eido, qui a un dojo à New York, il n'y a pas d'erreur possible"

La note en bas de page de Philippe Coupey précise qu'il s'agit bien d'Eido Tai Shimano, celui qui a été "forcé à démissionner en 2010 de ses responsabilités en raison d'un scandale sexuel impliquant l'une de ses disciples." Je doute que l'on puisse être un maître authentique et un "zen predator" qui ne se soucie pas de la souffrance de ses victimes. On ne ricanera pas du manque de probité de Deshimaru sur ce coup là mais désormais on restera prudent sur nos propres affirmations concernant les maîtres authentiques.

Au moins on trouve de la matière a réflexion dans ce livre et ce sera toujours mieux que Wikipédia parce que profondément incarné par Deshimaru.

On notera qu'en 1977 On pouvait recevoir le Kyosaku sans l'avoir demandé ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Deshimaru dit même que le Kyosaku est plus efficace quand on ne l'a pas demandé. Il est même question de rensaku. Il me semble que le rensaku a disparu chez tous les disciples de Deshimaru. [Edit : En fait non il n'a pas disparu, le maître que je fréquente, disciple de Deshimaru, l'a déjà donné mais ceux à qui il a donné le rensaku était consentant.]

Houang-po - Entretiens

"Il y avait un imbécile qui criait tout en haut d'une montagne. Comme l''echo de son cri montait de la vallée, il dévala la montagne à la recherche de l'auteur de ce cri, mais il ne trouva personne. Alors il poussa un autre cri, et cette fois l'écho lui répondit de la cime et l'imbécile rescalada la pente... cela dure depuis mille vies, dix mille kalpas!... Quand vous n'aurez plus de voix, il n'y aura plus d'échos"

Go Vegan !









Bashō Matsuo, Cent onze haïku



 "Ah! Belle-de-jour
qui non plus ne deviendra
jamais mon amie"
Bashō Matsuo








Fourmis Sans Ombre - Le Livre Du Haïku de Maurice Coyaud


"En ce monde nous marchons
Sur le toit de l'enfer et regardons
Les fleurs"  Issa

Maître Dôgen - La Voie de l'Éveillé [Butsudô] - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 4

Il s'agit du fameux texte dans lequel Dôgen critique l'appellation zen ainsi que les écoles qui en dérivent. Pour Dôgen, il n'y a qu'une seule voie.

Puisque la Loi de l'Eveillé se transmet ainsi avec justesse, voilà les héritiers directs qui se succèdent de génération en génération.(...) Or, ceux qui n'étudient pas ce principe de la Voie appellent à tort, sans raison, "école du zen" la vraie Loi, Trésor de l’œil, le cœur sublime du Nirvana, transmis avec justesse par les éveillés et les patriarches. Ils appellent les patriarches les "patriarches du zen" et attribuent aux savants le titre de "maîtres du zen" (...)" Tout cela n'est autre que le branchage et le feuillage ayant pour racine le point de vue partial. Sous le ciel de l'ouest et sur la terre de l'est, depuis les temps anciens jusqu'à nos jours, il n'a jamais existé l'appellation "école du zen". Ceux qui se la donnent sont des diables qui brisent la Voie de l'Eveillé, ils sont l'ennemi juré, ennemi écarté à jamais par les éveillés et les patriarches" .

Et puis il y a cette petite phrase étonnante :

"Ce n'est pas toujours avec dhyâna que les sept éveillés du passé ainsi que les vingt-huit générations (des patriarches indiens) doivent accomplir la Voie attestée de l'Eveillé" (...) le dhyâna est loin de résumer la totalité de la Loi de l'Eveillé"(...) "la Voie de l'Eveillé telle qu'elle est transmise et reçue par les éveillés qui nous ont précédés ne s'appelle pas dhyâna"
Il est bien dommage que Dôgen n'explique pas plus la différence entre zazen et dhyâna. J'ai écrit sur un forum :"Yoko Orimo dit que Zazen n'est pas, contrairement au dhyâna, une technique." et j'ai obtenu la réponse suivante de Kaïkan : "Voilà un non-sens zazen est composé de za = asana et de zen = dhyâna  donc zazen = dhyânasana. Par conséquent zazen n’est pas une technique pour obtenir quoi que ce soit, mais n’est pas contraire à dhyâna puisqu’elle actualise dhyâna." Si zazen actualise dhyâna pourquoi Dogen dit-il que dhyâna n'est pas la voie de l'Eveillé? Soit pour Dôgen zazen n'est pas réductible à dhyâna en étant plus qu'une posture soit c'est zazen qui n'est pas réductible à la Voie de l'Eveillé mais dans ce cas Dogen parlerait de zazen et non de dhyâna. Si pour Deshimaru le zen c'est zazen il semblerait que pour Dogen zazen ce n'est pas le zen.

Dogen fait remonter à son maître, Tendô Nyojo, ce refus des différentes écoles
Mon ancien maître, l'ancien éveillé, monté en chaire, dit à la grande assemblée: "De nos jours, un peu partout, on ne cesse de parler d'Unmon, de Hogen, d'Igyo, de Rinzai, de Soto, etc. Dire que le vent diffère selon les maisons n'est conforme ni à la loi de l'Eveillé ni à la Voie des patriarches.
On remarquera au passage que Dôgen n'est pas plus tendre pour le zen soto :

Nous le savons, ce sont les confrères (d'Ungo), ces sacs puants croyant être son égal, qui se donnèrent cette appellation "école Sôtô"