Je voulais reprendre ici ce que j'écrivais en commentaire d'un article de blog qui s'intitulait "Laisser tomber les divinités bouddhiques ?" pour le développer un peu.
Je ne pense pas qu'il soit indispensable, du moins au début, de se
relier au monde invisible (dans lequel les yidams sont loin d'être des
abstractions) mais nier ce monde invisible me semble aussi stupide que
si un aveugle niait l'existence des couleurs sous prétexte qu'il ne les voyait pas.
Je soupçonne les
tibétains de tenir un double discours l'un exotérique pour les
occidentaux aveugles et un autre plus ésotérique pour les initiés sans y
voir pour autant de la malveillance bien au contraire.
Il s'agit de s'adapter au niveau spirituel des personnes à qui on a affaire. A quoi bon parler de l'existence de ce que l'autre ignore puisqu'il y est totalement
insensible et qu'il y a peu de chances que cela change. Autant éviter les dialogues de sourds avec des aveugles.
C'est du bon sens.
Cela ne me semble pas indispensable également parce que rares sont les yidams disposés à nous aider.
Les yidams ont probablement mieux à faire que de
s'occuper de créatures aussi peu évoluées que nous. C''est ce en quoi je
rejoins Epicure : Les dieux existent mais ils ne sont pas à craindre."
L'article ouvrait sur l'idée d'un bouddhisme plus séculier telle qu'on l'a trouve chez Stephen Batchelor et concluait sur :
" En conclusion, je dirai que le bouddhisme gagnerait à sortir de la foi du charbonnier et à mettre en avant une philosophie rationnelle plutôt que son aspect strictement dévotionnel et affectif. "
Le problème c'est que la plupart des gens n'ont pas accès du tout au monde invisible et n'en ont qu'une connaissance par oui dire. Or il est difficile d'avoir la bonne attitude par rapport à cette connaissance par oui dire.
Soit on est dans le déni en rejetant tout dans le trou noir des superstitions. Il faut dira aussi que beaucoup de gens en parlent à partir de cette connaissance par oui dire sans en avoir l'expérience d’où le l'impression d'avoir souvent affaire à du grand n'importe quoi.
Soit on y accorde foi pour des raisons qui peuvent être plus ou moins bonnes.
L'une des raisons d'y donner foi c'est qu'il semble peu probable de faire l'expérience de ce monde invisible si on n'est pas dans une bonne disposition d'esprit. Être dans le déni est le meilleur moyen de s'en interdire l'accès. C'est ce qui fut longtemps ma position.
Mais avant cela on pourrait se demander l'intérêt d'accéder à ce monde invisible. Il semble quand même de peu d'intérêt à moins d'en faire commerce que ce soit pour de bonne raison comme soigner les gens ou pour de mauvaises raisons comme faire fortune. Il ne faut pas passer sous silence non plus que ce n'est pas sans danger. Plus d'un y ont perdu la raison. Il me semble donc défendable d'être dans le déni pur et simple du monde invisible. C'est le meilleur moyen pour que celui-ci vous laisse tranquille. D'autant plus qu'à moins d'être bien entouré par des gens qui en ont l'habitude et en qui il serait souhaitable d'avoir confiance il est délicat de savoir exactement à quoi on à affaire.
Sur ce sujet, j'ai changé d'avis. Il me semble désormais qu'un accès minimaliste et progressif peut être bénéfique à condition de cultiver de bonnes dispositions d'esprit et de combattre ses démons personnels. Autant dire que le gros du travail à faire, du moins dans un premier temps, ne se situe pas dans le monde invisible. En effet, l'autre gros danger du monde invisible c'est de courir après des chimères sur fond d’ennui. Ce qui est le meilleur moyen d'y perdre sa raison. Si s’intéresser au monde invisible permet de devenir une meilleur personne, alors pourquoi pas, sinon autant laisser tomber.
Mais c'est quoi le bien des êtres si ce n'est leur libération du cycle des renaissances.
Dogen critique sévèrement le taoïsme:
"Ils prennent pour essentiel la science de servir le Seigneur avec loyauté et de gouverner la famille durant à peine une vie."
Maître Dôgen - Le moine ayant atteint le quatrième stade de méditation [Shizen-biku] - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 8
Derrière le "à peine une vie" il faut entendre une critique de la vision court-termiste de celui qui souhaite sortir du réincarnationisme
Mais si d'un côté il fustige ceux qui ne croient pas à la Loi de causalité (qui implique une rétribution karmique) d'un autre
il insiste sur l'importance de faire passer les autres avant soi-même au moment de la libération.
Pour des questions de cohérence on est bien obligé de maintenir comme un choix éthique également valable les renaissances et la libération.
L'erreur c'est surtout de confondre réincarnation et renaissances.
Quelqu'un qui se convertit à une autre religion change de nom, ce n'est plus la même personne même s'il fallait bien qu'il y ait quelqu'un au préalable. Entre deux renaissances il y a un lien causal mais presque rien en commun. On donne l'image des deux plateaux quand l'un descend l'autre monte sans rien qui passe de l'un à l'autre.
On peut donc concilier absence de soi et continuité causale à travers la notion de renaissance.
Même si la personne qui va renaitre à ma mort ce n'est pas vraiment moi, d'un point de vue éthique, je ne dois pas lui pourrir karmiquement sa prochaine existence.
Dire "La réincarnation ne fait pas partie de ses préoccupations" me semble fallacieux.