Pourquoi "Dieu" Ne Disparaîtra Pas - Quand La Science Explique La Religion - Andrew Newberg - Eugene d'Aquili - Vince Rause

 

Selon les auteurs, Dieu ne disparaîtra pas parce que les humains ont un cerveau qui leur permet de faire naturellement l'expérience de "Dieu" sans qu'on puisse affirmer de manière catégorique qu'il s'agit d'une illusion ou d'un dysfonctionnement neurologique. 

Le problème c'est que pour affirmer une telle idée il faut faire abstraction du contexte et de l'interprétation qui est donné de cette expérience. Grosso modo, le dieu des monothéistes, la vacuité des bouddhistes ou l'atman/brahman des hindouistes renvoient à la même expérience, une expérience mystique d'expansion de la conscience, de disparition de l'ego et d'une unité avec un grand tout infini. 

Par conséquent "la présomption d'une vérité "exclusive" sur laquelle se fonde l'intolérance religieuse, pourrait émerger d'états incomplets de transcendance neurobiologique"  et à l'inverse quand l'expérience mystique réussit "l'esprit est confronté à un état d'unité absolue et sans compromis, où tous les conflits, toutes les contradictions, toutes les variantes de la Vérité qui s'affrontent, disparaissent dans une unicité harmonieuse et monolithique" 

La question que je me pose c'est de savoir si cette unicité harmonieuse n'est pas un peu factice.

"Il est remarquable que toutes ces histoires soient souvent semblables dans leurs thèmes, leurs détails et leurs intentions. Par exemple : Les évangiles nous disent que Jesus a passé quarante jours retiré dans le désert où il jeûnait, priait et endurait les tentations de Satan qui voulait briser sa foi et le détourner de sa destinée rédemptrice. Jésus a survécu à ces difficultés et il est retourné au monde en homme transformé, prêt à commencer sa mission qui devait le conduire à la mort sur la Croix et à sa résurrection qui devait suivre, ce qui devait ouvrir les portes du paradis et rétablir le don de la vie éternelle. Dans les écritures bouddhiques, le jeune prince Siddharta s'est assis dans le forêt sauvage pendant quarante jours où il jeûnait méditait et supportait les tentations du démon Mara, qui voulait le distraire de sa méditation et le détourner de son destin qui était de changer le monde. Le prince a survécu à ses difficultés dans le jungle pour finalement sortir de sa méditation épique en un être transformé qui en mourant au monde de la chair et en renaissant comme un esprit pur et éveillé, a enseigné au monde comment la mort et la souffrance peuvent être vraiment comprises grâce à la libération des attachements au monde matériel."

Cette lecture du bouddhisme me semble très tiré par les cheveux surtout en mettant au jour des oppositions dualistes qui dans le bouddhisme n'ont pas lieu d'être comme celle entre la chair et l'esprit. J'aimerais bien qu'on me cite un soutra qui dirait que le bouddha serait mort au monde de la chair. On lit bien plus souvent des textes bouddhistes qui mettent en garde contre le désir d'éternité. Je ne suis pas sûr que le bouddha soit resté 40 jours à méditer. Il me semble qu'il s'est éveillé au bout de 7 jours et qu'au total il y est resté 49 jours. Il reste la lutte contre les forces négatives que l'on trouve bien dans les deux histoires même si le bouddha donne l'impression de s'en foutre comme de l'an 40 de Mara des bois alors que le christianisme est beaucoup plus dualiste.

Je trouve ce livre très symptomatique de la manière dont l'esprit fonctionne dès qu'il est confronté à des dissonances cognitives. Parce que nous aimerions tous vivre dans un monde harmonieux où il n'y aurait plus de conflit on va chercher à réduire l'altérité au même sans se rendre compte de la violence que ça implique. 

A l'inverse je défends une position pluraliste non relativiste qui place l'intelligence et la raison au dessus du bonheur et du bien être. Je ne peux pas être sûr que ma vision du monde et de la religion soit vraie et que les autres sont fausses mais je ne manque pas d'arguments rationnels pour défendre cette vision. Ce n'est pas parce qu'elle me rendrait plus heureux qu'elle serait plus vraie. Or c'est un peu le parti pris du livre lorsqu'il fait de la religion un avantage pour la survie de l'espèce et qu'à l'inverse "une absence d'engagement religieux a un effet sur la mortalité équivalent à quarante ans passés à fumer un paquet de cigarettes par jour" quelque soit la religion. L'idée à laquelle s'oppose ce livre c'est que la religion aurait une dimension pathologique. Il reconnait que "certains états pathologiques comme la schizophrénie et l'épilepsie du lobe temporal peuvent déclencher des voix, des visions et d'autres effets hallucinatoires ayant souvent des connotations religieuses" mais qu'en même temps des études ont montré qu'en général, même des expériences mystiques et spirituelles légères étaient liées à des niveaux de santé psychologique générale plus élevés que la moyenne, en terme de meilleurs rapports interpersonnels, d'estime de soi plus élevée, de niveaux d'anxiété moindres d'identité personnelles plus claire, de souci accru pour les autres et de perspective générale de vie plus positive." Par conséquent les auteurs font une distinction entre les illusions mentales et les états mystiques authentiques et l'un des critères qui permet de faire cette distinction repose sur un sentiment de réalité. 

Et là on touche un aspect intéressant du livre:

"la logique veut que ce qui est moins réel soit contenu dans ce qui est plus réel, de la même façon qu'un rêve est contenu dans l'esprit du rêveur."(...) Bien que la notion d'une réalité plus réelle que celle dans laquelle nous vivons soit difficile à accepter sans en avoir fait personnellement l'expérience, quand l'esprit laisse tomber se préoccupation du monde, il peut percevoir cette plus grande réalité" "La sagesse des mystiques a prédit pendant des siècles ce que la neurologie démontre aujourd'hui comme vrai: dans l'existence unitaire absolue le soi se fond dans autrui. L'esprit et la matière sont une seule et même chose." Ce qui vient minorer le côté grandiloquent du livre c'est l'idée que la neurologie ne permet pas de décider que ce qui est perçu pendant une expérience mystique a une réalité objective ni qu'elle n'en a pas. 

Quand je lis des écrits de mystiques je n'arrive pas à comprendre comment ils peuvent aboutir à de tels délires sur Jésus ou Dieu alors qu'il n'y a rien de tel dans mes propres méditations. dans ce livre on trouve un début de réponse lorsqu'il classe les techniques de méditations en deux catégories générales: les approches passives "dans lesquelles l'intention est de débarrasser l'esprit de toute pensée consciente, et les approches actives dans lesquelles le but est de focaliser l'esprit sur un objet d'attention -un mantra, par exemple ou un symbole ou un verset des écritures" Dans l'approche active par exemple il y a un moment où l'esprit éprouverait la perception saisissante que le soi individuel a été absorbé mystiquement dans la réalité transcendante de Jésus.

Inversement "un bouddhiste qui ne croit pas à un Dieu personnalisé pourrait interpréter son expérience mystique comme une fusion dans le néant (...) Ces interprétations différentes sont inévitablement déformées par une subjectivité postérieures au faits. Pendant l'état d'existence unitaire absolue, les observations subjectives sont impossibles. D'un côté il n'existe aucun soi subjectif pour les faire, et de l'autre, il n'y a rien de distinct à observer. L'observateur et l'observation sont une seule et même chose."

Autrement dit l'expérience étant ineffable il est facile après coup de broder n'importe quoi dessus. Simplement plutôt qu'un discours mystique qui tente à tout prix de justifier ses croyances absurdes par une expérience dont on ne peut rien dire il me semble préférable d'opter pour un discours purement négatif autour de ce rien, ce vide, dont on peut faire l'expérience.  Mais comme ce vide semble empli d'amour chaleureux pour qui en fait l'expérience, parler de vide auquel on a tendance à associer un froid glacial intersidéral est également problématique. Il parait infiniment plus réel que la perception habituelle de la réalité et les expériences dans des scanners dont parlent ce livre en prouvent le fondement neurologique sans pouvoir pour autant faire le tri autrement que par les effets que produisent ces expériences.



Et s’il suffisait d’être présent - Ayya Khema - Jeanne Schut


 

"Dans cet ouvrage, Jeanne Schut retrace la vie d’une femme généreuse et enthousiaste, devenue une enseignante de méditation remarquable, qui a introduit en Occident la pratique des jhana, ces méditations profondes qui facilitent l’accès à la vision pénétrante de la réalité ou vipassana. Au cœur de ce livre, se trouvent de précieuses instructions de méditation, mais aussi des enseignements puissants qui nous guident vers la libération de la souffrance."

La biographie et les enseignements sont intéressant mais un peu convenu. On ne va pas se mentir, le plus intéressant se sont les quelques pages qui parlent des 8 jhāna

"Les quatre premiers jhāna servent simplement à instaurer le calme intérieur ; les trois suivants s’appuient sur ce calme et apportent automatiquement des révélations profondes. Il s’agit de notions qui peuvent être comprises intellectuellement mais qui n’ont aucun impact sur l’esprit et le cœur si on n’en fait pas directement l’expérience."

Le premier jhāna : concentration et persévérance

Le premier jhāna apporte cinq facteurs : 1) premier effort d’attention posé
sur l’objet de méditation ; 2) attention soutenue sur ce même objet ; 3) joie,
bonheur ; 4) contentement ; 5) concentration sur un point unique.

Le deuxième jhāna : joie et exaltation

Le troisième jhāna : le contentement

"être sans désir, c'est aussi se libérer de la souffrance"

Le quatrième jhāna : paix et détente 

Le cinquième : l'espace infini

Le sixième: la conscience infinie

Le septième : fondement de la vacuité.

Le huitième : ni perception ni non-perception

"un avant goût de ce qu'est une expérience sans personne qui en fait l'expérience"

"l'esprit a tout simplement conscience d'un grand afflux d'énergie mentale" "l'esprit est capable de voir des connexions beaucoup plus vastes, de comprendre la totalité et qu'il a la joie et la clarté nécessaire pour trancher dans tout ce qui le préoccupe d'ordinaire"

"Si on sort d'un état de jhana, à quelque niveau que ce soit, et que l'on se sent prêt à abattre tout le travail qui se présente, c'est que la méditation a été bonne."

Le huitième pas plus que le quatrième n'est considéré comme un jhana de la vision profonde. Il consiste plutôt à régénérer l'esprit. Les grandes révélations profondes viennent au cours des 5ème, sixième et septième jhana."

Rakusu

 

Mon rakusu a bien avancé.

Marion Dapsance - Sur le déni de la religiosité du bouddhisme. Un instrument dans la polémique antichrétienne


 Médias et intellectuels français avancent régulièrement que le bouddhisme n’est pas une religion mais une spiritualité.Qu’il n’implique l’adhésion à aucune croyance irrationnelle ou déraisonnable, ne tolère aucune forme d’autorité extérieure et se fonde entièrement sur une expérience individuelle et transformatrice appelée « méditation ». Cette dernière, affirme notamment le philosophe et maître bouddhiste français Fabrice Midal, n’aurait « aucun but » ni « aucune finalité », mais serait « un espace de pure gratuité » permettant aux Occidentaux stressés de prendre le temps d’« être »1. Ce type de représentation se heurte toutefois aux doctrines et aux pratiques bouddhiques asiatiques, qui mettent l’accent sur le rituel et la dévotion, de même qu’aux réalités observables dans les centres français.,,1. Fabrice Midal, Études, octobre 2013, pp. 377-382. Voir également Quel bouddhisme pour l’Occident ?, Éd. du Seuil, 2006.,,

Le titre "Quel bouddhisme pour l’Occident ?" montre bien qu'il s'agit d'une réflexion sur la manière dont le bouddhisme pourrait être occidentalisé ce qui implique nécessairement une rupture avec un bouddhisme purement asiatique. Ce que Marion Dapsance n'arrive pas à comprendre c'est qu'il existe une grande variété d'attitudes à l'égard du Bouddhisme. On peut pratiquer en étant dans le rejet total de tout rituel comme à l'inverse dans la tentative d'un parfait mimétisme avec ce qui se passe dans un monastère. Mais par conséquent il est délicat de décrire les réalités observables dans les centres français car elles varient beaucoup d'un endroit à l'autre. Ce que Marion Dapsance a pu observer dans des centres Rigpa n'est probablement valable que pour ces centres. Néanmoins elle se permet de dire que ses analyses sont également valable pour le zen en renvoyant à Robert Sharf et Bernard Faure... Encore faudrait-il qu'il y ait une homogénéité entre le zen français et le zen américain parce que à ma connaissance Robert Sharf ne s'est jamais intéressé au zen Français. Et on sait, par ailleurs que Deshimaru était également très critique à l'égard du zen américain.

En effet, les nouveaux adeptes du bouddhisme, souvent des critiques amers du catholicisme, se soumettent rapidement aux nouvelles exigences des maîtres bouddhistes, notamment tibétains, présents sur notre territoire. Or, ces exigences n’ont rien de moderne : elles s’inscrivent plutôt dans une conception du monde éminemment religieuse. Ainsi trouve-t-on dans ces centres des individus qui, tout en professant une foi absolue en la rationalité du bouddhisme, pratiquent des rituels de propitiation de divinités, se prosternent Méditer jour après jour : 25 leçons pour vivre en pleine conscience, La Rencontre du bouddhisme et de l’Occident, Jésus, Bouddha d’Occident, À la rencontre du Dalaï-Lama, Socrate, Jésus, Bouddha : trois maîtres de vie1. Ces ouvrages se fondent tous sur l’idée que le bouddhisme – et la « méditation » qui lui serait propre – peut apporter un mieux-être à l’Occident. Ce mieux-être est prophétisé par différents porte-parole, qui s’arrogent tous une compétence particulière en matière de bouddhisme, pourvu qu’elle soit vendeuse. Psychologues, lamas tibétains, philosophes, maîtres bouddhistes vietnamiens, neuroscientifiques, anciens hippies, artistes, sociologues, femmes au foyer : chacun peut se tailler une part dans la niche éditoriale que constitue la « spiritualité bouddhiste ». Il suffit de proposer un couplet supplémentaire – plus ou moins imaginatif – à la ritournelle déjà bien connue : « Le bouddhisme vous veut du bien. » Cette dernière se retrouve par ailleurs également illustrée dans maintes réclames pour clubs de vacances, thalasso-thérapie, banque et assurances, cours par correspondance, ménage à domicile, etc., où les notions de calme, de confiadevant leurs lamas, récitent des prières, confessent leurs fautes, absorbent des pilules contenant des reliques humaines, font dons d’offrandes aux maîtres décédés, tournent autour de reliquaires, utilisent des chapelets, se font asperger d’eau bénite, reçoivent des impositions d’objets sacrés, etc. Pourquoi ces pratiques, observables sur le territoire français même, sont-elles passées sous silence ? Pourquoi leur existence ne remet-elle pas en question la représentation dominante du bouddhisme comme « spiritualité laïque » ?,,

Le texte de Marion Dapsance opère très rapidement un réductionnisme inacceptable en réduisant le bouddhisme en France au Bouddhisme tibétain. L'existence de ces pratiques ne remet pas en question la représentation dominante du bouddhisme comme spiritualité laïque simplement parce que ces pratiques n'ont rien d'universelles. Tous les catholiques se font asperger d'eau bénite mais pas tous les bouddhistes. Ceci étant dit je me suis déjà fait asperger d'eau lors d'un rituel bouddhiste mais pour moi ce rituel n'est pas du tout le même sens que l'eau bénite dans le christianisme. Je ne me sens absolument pas concerné par le déni de religiosité dans le bouddhisme zen. Pour moi la religiosité est indéniable mais elle ne se superpose pas pour autant à celle du christianisme. Dans le christianisme l'eau bénite renvoie au baptême, rituel qui nous fait entrer dans la communauté chrétienne. N'ayant plus aucune affinité avec cette religion ni avec la communauté des Chrétiens, l'eau bénite chrétienne n'a plus aucun sens pour moi. A l'inverse je me suis fait asperger d'eau par un moine dans un rituel de purification karmique. La notion de spiritualité laïque ne s'oppose pas à l'idée de l'existence de la partie invisible du monde. La notion de purification karmique n'a pour moi rien d'irrationnelle mais ni plus ni moins que celle du baptême. On baptise bien les bateaux avec des bouteilles sans qu'on parle pour autant de la religiosité d'un tel rituel même si cela renvoie aussi à des croyances et des superstitions ancestrales. Elle ne définit jamais ce qu'elle entend par religion ni ce qu'elle entend par spiritualité par conséquent ses considérations restent très floues. On comprend ce qu'elle veut dire mais ça reste un problème de catégories mal définies. Pour moi le bouddhisme zen n'est pas une spiritualité si le mot spiritualité renvoie uniquement à l'esprit. Dans la mesure où on doit abandonner corps et esprit en zazen, le mot spiritualité est quand même mal choisie pour désigner le bouddhisme zen. Ce n'est pas un sport ni un art. C'est une pratique bien difficile à catégoriser.

À qui profite la « spiritualité » bouddhique ?,,

Le déni de la religiosité bouddhique sert des intérêts divers mais convergents. Plusieurs groupes d’individus tirent en effet parti de cette conception du bouddhisme comme « spiritualité » : ceux qui en parlent (les auteurs qui se sont approprié la question et les médias qui relaient leurs propos), ceux qui en vivent (les maîtres bouddhistes ayant pour profession d’enseigner, qu’ils soient d’origine asiatique ou occidentale) et ceux qui le vivent (les adeptes). La fiction occidentale d’un bouddhisme areligieux est d’abord un créneau éditorial particulièrement fécond. Parce qu’elle ne repose sur aucune caractérisation positive, mais plutôt sur l’idée vague et protéiforme que le bouddhisme a pour but de rendre heureux, l’idée de « spiritualité bouddhiste » rend possible la multiplication d’ouvrages en tous genres, tels, entre autres, Bouddhisme au quotidien, Le bonheur est entre vos mains : petit guide du bouddhisme à l’usage de tous, Le Moine et le Philosophe, Le bouddha dans votre miroir : bouddhisme au quotidien et recherche de soi, Le Cerveau du Bouddha, Méditer jour après jour : 25 leçons pour vivre en pleine conscience, La Rencontre du bouddhisme et de l’Occident, Jésus, Bouddha d’Occident, À la rencontre du Dalaï-Lama, Socrate, Jésus, Bouddha : trois maîtres de vie1. Ces ouvrages se fondent tous sur l’idée que le bouddhisme – et la « méditation » qui lui serait propre – peut apporter un mieux-être à l’Occident. Ce mieux-être est prophétisé par différents porte-parole, qui s’arrogent tous une compétence particulière en matière de bouddhisme, pourvu qu’elle soit vendeuse. Psychologues, lamas tibétains, philosophes, maîtres bouddhistes vietnamiens, neuroscientifiques, anciens hippies, artistes, sociologues, femmes au foyer : chacun peut se tailler une part dans la niche éditoriale que constitue la « spiritualité bouddhiste ». Il suffit de proposer un couplet supplémentaire – plus ou moins imaginatif – à la ritournelle déjà bien connue : « Le bouddhisme vous veut du bien. » Cette dernière se retrouve par ailleurs également illustrée dans maintes réclames pour clubs de vacances, thalasso-thérapie, banque et assurances, cours par correspondance, ménage à domicile, etc., où les notions de calme, de confiance, de repos ou de sérénité sont désormais presque toujours illustrées par l’image d’une personne assise, les yeux fermés, en posture dite du lotus. La « spiritualité bouddhiste » est une coquille creuse au fort potentiel publicitaire.,,

Ce passage est particulièrement risible et absurde... Marion Dapsance part de ce qui ressemble à des dérives mercantiles pour critiquer ce qui en serait la source, le bouddhisme à l'occidentale. Que beaucoup de gens soient venus au bouddhisme après avoir lu Lobsang Rampa qui est un faux lama, ça pose un problème à qui? Qu'une femme au foyer écrive un livre sur le bouddhisme et qu'elle se taille une part dans la niche éditoriale, ça dérange qui à part Marion Dapsance? Que des maîtres zen occidentaux publient leur Kusen et que cela leur fasse une source de revenu, je ne vois vraiment pas où est le problème. Personnellement je serais bien content d'avoir une copie papier des enseignements reçues en zazen et je suis prêt à payer pour ça. De quoi devrait vivre les maîtres spirituels? uniquement d'amour et d'eau frâiche? et Marion Dapsance n'exploite-t-elle pas le filon du bouddhisme pour écrire et publier ses inepties? Au secour!

C’est souvent sur la base de lectures de ce type que des Occidentaux décident de se rendre dans un « centre du dharma » dirigé par un maître asiatique (la plupart du temps tibétain) ou occidental (souvent un philosophe, tel, en France, Fabrice Midal1). Ce mode de recrutement paraît ici relever de l’évidence : quel meilleur moyen de découvrir la « sagesse bouddhiste », sinon les livres ? Le bouddhisme étant une philosophie qui s’expose logiquement, il est normal que le texte soit le vecteur privilégié de sa transmission. Or, cette situation est inédite dans toute l’histoire de cette tradition. En effet, les doctrines et les pratiques inspirées du Bouddha ont surtout été transmises oralement, par la relation entre maître et disciple, par sermons publics et par coutume. L’idée que l’écrit prédomine est une idée chrétienne. Les textes – doctrinaux et liturgiques – étaient réservés aux élites monastiques et enseignés suivant un curriculum strict excluant toute liberté de choix et d’interprétation : il s’agissait d’étudier les textes choisis par l’institution, dans le sens fourni par l’institution. Pour le commun des laïcs, la plupart du temps illettrés, les textes étaient plutôt utiles sous forme de reliques ou de talismans, pourvoyeurs de bénédiction, de chance et de protection.,,,,

Encore un passage totalement absurde... Jésus n'a pas plus écrit que le Bouddha et la Bible est née dans des traditions qui à l'origine étaient orales. Les bouddhistes n'ont pas attendus leur rencontre avec les occidentaux pour écrire des livres. Je ne vois pas en quoi cette situation est inédite... Comment s'est passé l'arrivé du Bouddhisme en Chine sinon par le biais de traductions qui empruntaient au taoïsme? Dans le bouddhisme zen on parle de transmission en dehors des écritures mais c'est très souvent mal compris... cela signifie que la relation maître à disciples prime sur une compréhension purement intellectuelle mais cela n'exclue absolument pas l'étude des textes. L'anti-intellectualisme que l'on rencontre parfois dans le zen est à mon avis un contre-sens, du moins dans le zen soto. On ne passerait pas son temps à citer Dogen, si l'anti-intellectualisme avait une raison d'être dans le zen.

Dans l’Occident contemporain, une telle vision paraît inconcevable. Le bouddhisme est un rationalisme salvateur : il appartient à tous, donc à personne. Démocratique, aucune autorité n’est en droit d’en instituer l’orthodoxie. Il est loisible de s’en réclamer, sans que cela implique de référence dogmatique particulière. Le mot évoque tout simplement la « liberté d’être », summum de l’épanouissement personnel. Cette conception fantasmée est un appui inopiné à la propagande des lamas tibétains, venus en Occident à partir des années 1960 pour des raisons toutes prosaïques : échapper à l’envahisseur chinois et se constituer de nouveaux débouchés économiques. En effet, les ouvrages consacrés à la panacée bouddhique garantissent aux lamas exilés en Europe un afflux régulier de nouveaux adeptes, séduits par les possibilités infinies qu’ils promettent en termes de développement personnel. Considérés comme des spécialistes séculaires de la sérénité, les lamas sont les instances vers lesquelles se tournent spontanément ceux qui souhaitent approfondir la connaissance livresque qu’ils ont du bouddhisme. Lorsqu’on se rend dans ces centres et que l’on en questionne les adeptes, on découvre que la majorité y est venue en vertu d’un ouvrage ou d’un auteur, le Dalaï-Lama et Matthieu Ricard figurant en tête. Quelques-uns y arrivent par le biais d’un voyage en Asie qui les aura fascinés, mais le cas est plus rare. Cela, évidemment, n’a rien d’étonnant : seuls les livres, les figures médiatiques ou les voyages peuvent réduire la distance qui sépare les deux continents. Cependant, s’ils expliquent comment on devient disciple d’un lama, ces ouvrages dithyrambiques n’expliquent pas comment on le reste. En effet, s’ils sont prêts à embrasser les conceptions lucratives des Occidentaux, les lamas n’en sont pas moins membres d’une culture qui considère le « bouddhisme » (qu’ils nomment chez eux chö ou buddhadharma) comme un ensemble de prescriptions susceptibles d’assurer la sortie définitive de l’être du cycle sans fin des renaissances. L’objectif prôné n’est pas une amélioration du bien-être, fût-il « intérieur », en ce monde : le bouddhisme propose au contraire d’y échapper. Cela passe essentiellement par la pratique rituelle et liturgique, dans le cadre d’une relation de dévotion et d’obéissance totale envers un maître. Encore la pratique rituelle n’est-elle réservée qu’à certains moines et à certains ascètes. Traditionnellement, les laïcs n’ont accès qu’à la purification du karma par le don, la récitation de prières et les bénédictions des religieux.,,,

Mais oui! l'objectif prôné n'est pas seulement une amélioration du bien-être mais bien une sortie du cycle des renaissances. C'est bien là qu'on voit que Marion Dapsance mélange un peu tout sans voire la nature paradoxale, ambivalente pour ne pas dire non-duelle du bouddhisme. Le nirvana implique en même temps la fin de la souffrance inhérente au fait de vivre et la sortie du samsara. On est quand même un peu en droit de penser que la fin de la souffrance apporte quand même un peu de bien-être ou plus exactement de la joie et que cette joie est le bonheur suprême. En revanche il me semble contestable de faire du nirvana un équivalent post-mortem du paradis des chrétiens. La fin de la souffrance n'implique nullement la vie éternelle. D'autant plus que le paradis existe dans le bouddhisme mais est distingué du nirvana comme étant situé en dessous dans le monde des dieux bienheureux. Et le monde des dieux n'est pas dans arrière monde, post-mortem. Il n'y a qu'un seul monde.

Les lamas qui dirigent des « centres du dharma » pour Occidentaux sont ainsi confrontés à un véritable malentendu culturel. On leur demande en effet d’enseigner à des laïcs des pratiques rituelles et dévotionnelles inspirées de doctrines médiévales relatives au salut post-mortem, tout en persistant à dire que « ce n’est pas une religion ». Comment faire tenir ensemble les deux parties de la proposition ?,,

Mais parce que ce n'est pas censé être une religion ce n'est pas censé répondre à la question existentielle de la vie et de la mort? Mais qu'est-ce qu'une spiritualité pour Marion Dapsance?

Comment continuer à dénier la religiosité du bouddhisme, alors que l’on s’apprête à enseigner des rituels liturgiques et des pratiques dévotionnelles ? Plusieurs cas de figure sont possibles. Certains lamas – ils sont rares – affirment d’emblée l’équivalence des termes « religion » et chö, revenant ainsi sur l’idéal laïque des Occidentaux. S’ils veulent véritablement comprendre et pratiquer le bouddhisme, les nouveaux adeptes doivent reconsidérer leurs conceptions initiales du bouddhisme et s’interdire de réduire « la religion » à un ensemble de contraintes superflues, voire despotiques. Le religieux est alors subitement revalorisé, au point que certains adeptes se réorientent, décomplexés, vers la pratique catholique qu’ils avaient si vigoureusement condamnée dans leur éloge de la « spiritualité bouddhiste ». La « religion » n’est plus pour eux l’opium du peuple, mais un système de règles de vie tirant sa valeur et sa légitimité du fait de se fonder sur une tradition très ancienne.,,

Chacun est absolument libre de pratiquer le bouddhisme comme il le souhaite. Léonard Cohen n'a jamais renié son judaïsme. Qui lui reprocherait? Quand j'écoute ce que dit un prêtre chrétien lors d'un enterrement par exemple que Jésus aurait terrassé la mort et qu'il nous aurait montré le chemin vers la résurrection à la fin des temps... Je me demande qui peut encore croire à ce qui est dit au regard des connaissances scientifiques d'aujourd'hui? En revanche vivre en silence dans un monastère chrétien, ne me ferait pas fuir. On ne peut pas mettre sur le même plan ce qui relève des croyances ou dogme et ce qui relève des pratiques. Dans le zen soto, on ne reprochera jamais à personne de ne pas croire aux renaissances. On revanche on pourra reprocher à quelqu'un le fait d'avoir raté un zazen (sauf cas de force majeure).

Certains maîtres préfèrent au contraire maintenir l’idéal d’une « spiritualité bouddhique » tout en guidant leurs disciples vers la pratique rituelle. Pour ce faire, ils ont recours à une rhétorique de l’artificialité déclinable dans les deux cultures, permettant ainsi de créer un lien (lui-même passablement factice) entre elles. Les pratiques rituelles et dévotionnelles sont en effet présentées aux Occidentaux comme de simples « techniques de l’esprit », dérivées de l’auguste et laïque « méditation ». Si elles incluent des visualisations et des invocations de déités, c’est parce que ces dernières représenteraient des « archétypes universels de la pensée2 ». Les rituels sont non pas des pratiques religieuses, mais des exercices de l’esprit plus sophistiqués que la « méditation », qui permettent d’aller plus loin dans la purification de l’esprit. Cette euphémisation du religieux par l’idée d’artificialité (le rituel et la dévotion comme outils sans valeur intrinsèque) rejoint la notion bouddhique de « moyen habile » (upaya), qui désigne la possibilité offerte aux enseignants d’utiliser tout support et toute occasion disponibles pour convertir un être. La rhétorique de l’artificialité permet ainsi au lama de trouver un terrain d’entente avec ses étudiants occidentaux : ce qui est pour lui « moyen habile » se trouve être pour les autres « technique spirituelle ». Les deux parties font alors comme si les rituels, pourtant au centre de leurs activités communes, n’étaient en fait pas très importants.,,,,

Je ne comprends pas bien pourquoi on devrait se priver des rituels s'ils nous permettent d'approfondir notre pratique? au nom de quoi? D'un idéal de rationalité étriqué? Dans le zen on considère que les rituels sont secondaires mais secondaires ne signifie pas qu'on devrait s'en passer. Si certaines personnes sont allergiques aux rituels au nom d'un idéal fantasmé de pureté rationnelle, nous leur conseillons de se tourner vers la Pleine Conscience... mais il n'y seront pas pour autant gagnant. Lorsqu'après la méditation, nous devons nous arrêter pour des raisons indépendantes de notre volonté et que nous ne faisons aucun rituel nous avons le sentiment qu'il manque quelque chose. A cause de la pandémie de covid j'ai assisté à des enterrements sans aucun rituel, cela avait quelque chose de choquant. Il est difficile de dire pourquoi mais on ne médite pas comme on va aux toilettes même si on peut faire du passage aux toilettes un rituel comme nous encourage à le faire Dogen.,,,

D’autres lamas évitent, quant à eux, d’entrer dans les débats stériles concernant la nature religieuse ou non du bouddhisme, faisant valoir l’incommensurabilité des pensées occidentales et asiatiques. Ils mettent en quelque sorte les convertis devant le fait accompli : ce qu’ils proposent, quels que soient l’idée ou le nom que l’on y attache, ce sont les rituels tantriques (souvent pudiquement appelés « pratiques » par les convertis). Pour rester membre du centre, il convient de s’y atteler, un point c’est tout. Quel que soit le type d’accommodement choisi par les lamas, le résultat reste le même : une résurgence des dogmes, des pratiques et des hiérarchies traditionnelles au sein de sociétés qui revendiquent l’autonomie, la raison, le libre-arbitre. Le déni de la religiosité bouddhique ne permet donc pas seulement la constitution d’un créneau commercial florissant pour diverses catégories de personnes et de professions : c’est aussi, paradoxalement, un puissant réactivateur de religieux. Mise en rapport avec la réalité des pratiques proposées dans les centres du dharma français et plus généralement occidentaux, la persistance de la fiction du bouddhisme comme « spiritualité laïque » ne fait que mettre en lumière le véritable ennemi : non pas « la religion » en général (puisqu’elle est finalement acceptable une fois portée par des lamas), mais le christianisme en particulier.,,1. Fabrice Midal est à la tête de l’École occidentale de méditation, active à Paris et à Genève, voir le site officiel consultable en ligne.,,2. La notion d’ « archétype » vient de Carl G. Jung, Psychology and Religion (The Terry Lectures), New Haven, Yale University Press, 1938. L’assimilation des divinités tibétaines à ces derniers est également due à Jung, commentaire psychologique du Livre des morts tibétain, W. Y. Evans-Wentz, 1954.,,

Là encore on voit le réductionnisme du bouddhisme au tantrisme. Elle prend fâcheusement la partie pour le tout. A ma connaissance le tantrisme n'est pas exclusivement bouddhiste et dans ce que Marion Dapsance met en exergue relève plus pour moi de la religion Bön que du pure bouddhisme. Il est évident qu'un pratiquant bouddhiste Théravada ne se reconnaitra nullement dans les propos de Marion Dapsance. Je ne vois pas d'inconvénient dans le fait d'opposer Bouddhisme et Christianisme. Sur ce point, le propos de Marion Dapsance me dérange moins que tout propos syncrétique. Que des déçus du christianisme se retrouve dans le bouddhisme, je ne vois pas où est le problème. Que l'on puisse même se servir du bouddhisme pour critiquer le christianisme sur la question de la rationalité ne me pose pas de problème à partir du moment où on ne m'impose pas le bouddhisme tibétain comme référence absolue du bouddhisme. Et même s'il fallait défendre la rationalité du bouddhisme tibétain j'aurais plus de facilité à le faire que si je devais faire la même chose avec le christianisme. Et encore on peut voir dans une bonne partie de l'histoire de la philosophie occidentale une tentative de donner de la rationalité au christianisme. Et je ne vois pas pourquoi on ne pourrait faire la même chose avec le bouddhisme. Pour ma part je vois dans la pratique de toumo du Bouddhisme tantrique tibétain un formidable exercice de transformation physique qui stimule les défenses immunitaires et procure une joie intense. Cela me semble beaucoup plus rationnel que la transsubstantiation du vin en sang du Christ même si le vin peut aussi procurer une joie intense.

L’invention d’une philosophie orientale,,en accord avec la science,,,

Si les Occidentaux en sont venus à considérer le bouddhisme comme une philosophie dénuée de toute pratique rituelle ou dévotionnelle, c’est avant tout parce qu’ils l’ont découvert dans les livres avant de l’observer dans la réalité. En effet, c’est d’abord dans le cadre des études sanscrites anglaises et françaises que la tradition bouddhique fut découverte et constituée1. Dans les années 1830, des manuscrits sanscrits découverts à Katmandou par l’administrateur colonial britannique Brian Houghton Hodgson furent envoyés au linguiste et indologue français Eugène Burnouf, fondateur de la Société asiatique, qui se chargea de les traduire et de les commenter2. C’est lui qui, le premier, décrivit le bouddhisme comme « un fait complètement indien », le Bouddha comme « un sage » et le bouddhisme comme une philosophie morale et rationnelle ayant pour but la cessation de la souffrance. Ces caractérisations, qui allaient s’imposer dans le monde entier et perdurer jusqu’à aujourd’hui, étaient cependant tributaires d’une vision purement livresque des traditions asiatiques. Parce qu’il ne s’est jamais rendu en Asie, et parce que son souci n’était pas d’ordre ethnographique mais philologique, Burnouf n’a pas décrit les temples, les autels, les prêtres, les reliques et les services religieux. Les ouvrages occidentaux s’inscrivirent dans sa lignée, et le bouddhisme continua d’être considéré comme une philosophie dépourvue de toute dimension rituelle, dévotionnelle et institutionnelle.,,La découverte de cette tradition s’inscrivait, en outre, dans le contexte européen de la sécularisation. Le bouddhisme-philosophie y apparaissait comme une spiritualité de substitution à un christianisme jugé à la fois décati, rétrograde et impérialiste. Il fut idéalisé et chargé des vertus que l’on regrettait de ne pas trouver dans la religion chrétienne et, en particulier, dans le catholicisme : rationalité, individualisme, égalitarisme. Le bouddhisme devint dès lors, dans l’esprit de nombreux intellectuels de cette époque (Schopenhauer, Nietzsche, de Vigny, Taine, Renan…), un antichristianisme salutaire, assimilable à un exercice de libre-pensée. Ainsi la féministe et future exploratrice Alexandra David-Néel écrivait-elle en 1911, dans Le Modernisme bouddhiste et le bouddhisme du Bouddha3 : « L’enseignement que nous connaissons sous le nom de Bouddhisme ne repose pas sur la personne du Maître qui l’a promulgué. Celui-ci ne se présente pas comme investi d’une autorité exceptionnelle pour communiquer aux hommes la teneur d’une révélation qu’il aurait miraculeusement reçue. Il ne se donne pas, non plus, comme possédant le pouvoir d’un sauveur capable d’annuler les conséquences funestes des erreurs des hommes. C’est à ceux-ci qu’il appartient de s’éclairer, de reconnaître le caractère erroné des croyances déterminant le comportement qui les maintient dans la souffrance. Siddhârtha Gautama est un Maître, rien qu’un Maître : il proclame des faits qui lui sont apparus au cours de ses investigations, de ses méditations, et il indique les moyens propres à nous “éveiller”, à nous délivrer, comme il s’est délivré, du rêve peuplé de fantasmagories où l’ignorance nous retient4. »,,Sans recours au divin ni référence à l’au-delà, le bouddhisme consiste ainsi, selon l’interprétation de l’époque, en une réflexion personnelle visant à éradiquer les causes mentales de la souffrance. Il est décrit comme un « simple programme, le plan d’une sorte de combat intellectuel que l’homme doit soutenir seul et dont il est dit pouvoir sortir vainqueur par ses propres moyens5 ». Alexandra David-Néel, l’un des premiers adeptes et promoteurs français du bouddhisme, y voyait en outre une source de régénération pour une civilisation occidentale en proie à la « décrépitude ». Elle écrit, dans une réédition d’après guerre : « Les conceptions sociales et morales d’un grand nombre de nos contemporains se sont singulièrement modifiées. Un désarroi se traduisant par une indifférence veule ou une attente angoissée de cela qui pourrait se produire a pris possession des esprits. Est-on encore justifié en parlant de la faillite de notre civilisation, ou faut-il employer le terme de catastrophe ? […] Il est, cependant, une autre expression, moins dramatique, mais plus poignante […] : c’est celle de décrépitude. […] Ne convient-il pas que nous nous efforcions d’écarter de nous, hommes de l’époque actuelle, le plus grand nombre possible d’éléments producteurs de souffrance, et de multiplier les facteurs susceptibles de contribuer à notre confort matériel et spirituel ? Or, il existe un enseignement dont le but, formellement affirmé, consiste précisément dans la Suppression de la Souffrance. Ne serait-il pas sage de lui accorder notre attention6 ? »,,On trouve aujourd’hui le même type de considérations sur l’opportunité de la doctrine bouddhique en contexte de « crise des valeurs occidentales » dans les écrits d’auteurs français comme Matthieu Ricard ou Frédéric Lenoir. Ce dernier considère notamment le bouddhisme, parce qu’il serait à la fois « rationalisme » et « imaginaire mythique », capable de « réconcilier » deux modes de pensée et deux modes d’être jusque-là opposés (l’Occident étant considéré comme « extraverti » et l’Orient comme « introverti »7), laissant ainsi poindre, à l’horizon, la lueur d’une « nouvelle civilisation planétaire8 ». Matthieu Ricard a, quant à lui, récemment déclaré que « la méditation a des effets sur tout le corps social » et milite pour la diffusion de sa pratique « laïcisée » dans toutes les sphères de la société afin d’apporter plus de paix et de compassion dans le monde9. Il est l’un des chercheurs qui participent aux expériences neuroscientifiques sur cerveaux de moines tibétains en méditation, organisées par le Mind and Life Institute. Ces expériences sont destinées à « prouver scientifiquement les effets de la méditation10 ».,,On mesure l’écart qui sépare Alexandra David-Néel de Matthieu Ricard. Le bouddhisme n’est plus seulement considéré aujourd’hui comme une « sagesse rationnelle » au sens d’Eugène Burnouf et d’Alexandra David-Néel. Il ne désigne plus une réflexion guidée sur les causes psychologiques du bonheur ou du malheur individuel, telle que nous la décrit Le Bouddhisme du Bouddha. Il n’est plus synonyme d’exhortation à l’examen de conscience ou à la réformation morale. Il désigne plutôt une thérapie mentale, dont la nature exacte n’est jamais précisée, si ce n’est qu’elle se fonderait sur la pratique de la « méditation ». Ce terme, toujours central dans les discours occidentaux sur le bouddhisme, ne désigne plus l’acte de réfléchir à ce que doit être une vie bonne ou une vie juste, mais se réfère à la pratique d’une relaxation assise, consistant précisément à s’arrêter de penser11. Rebaptisée « pleine conscience » (en anglais mindfulness) dans un souci de sécularisation, elle aurait pour but de modifier le fonctionnement et la structure physique du cerveau par un entraînement spécifique, consistant à développer des sentiments altruistes. Le développement de ces sentiments serait ainsi observable et quantifiable à l’aide de technologies modernes, tels que scanners, électrodes et thermomètres sophistiqués. Ce n’est donc plus la morale qui justifie aujourd’hui le bouddhisme, mais la science.,,

Là encore on ne comprend pas bien en quoi l'examen de conscience s'opposerait à une thérapie mentale. En quoi le fait de trouver un bien-être serait incompatible avec une réflexion sur ce qui est juste. C'est un reproche absurde que l'on fait à la pleine conscience qui en ferait une technique au service d'un conformisme anti-révolutionnaire au service du capitalisme triomphant en permettant une meilleure adaptation au monde stressant contemporain. Je ne vois pas pourquoi des communistes révolutionnaires ne pourraient pas pratiquer la pleine conscience alors que la plupart des adeptes d'arts-martiaux pratiquent la méditation comme techniques pour augmenter leur concentration dans des combats qui peuvent être des combats à mort. C'est bien évidemment le contexte qui joue une part importante dans ce que l'on fait de la méditation. On peut bien sûr critiquer l'usage de la méditation en entreprise si l'employeur rend celle-ci obligatoire mais si elle est seulement proposée et qu'elle réduit le nombre de burn-out ou de suicide je ne vois pas pourquoi on devrait l'interdire non-plus. Dire que la méditation consiste à s'arrêter de penser prouve la totale méconnaissance de Marion Dapsance de la Pleine conscience. Il s'agit d'observer ses pensées en revenant régulièrement aux sensations et à la respiration. On pense tout en étant présent physiquement et conscient des pensées. Je n'arrive pas à comprendre le crédit qui est accordé à Marion Dapsance pour déverser autant de contre-vérité sur le bouddhisme.,,,,

Or, cette inclusion du bouddhisme et de la « méditation » dans le champ de la science n’est pas une idée originale de Matthieu Ricard, qui semble surtout vouloir prouver au monde et à lui-même que sa conversion monastique ne l’empêche pas d’être un rigoureux scientifique. La volonté de faire du bouddhisme une « science » unifiée, capable à la fois d’expliquer les lois de la nature et celles de l’esprit humain, est une idée vieille de cent cinquante ans, que Matthieu Ricard et ses épigones ne font que reprendre plus ou moins consciemment à leur compte. L’invention d’une « science de l’esprit » fondée sur le bouddhisme tibétain fut l’œuvre de la Société théosophique. Fondée à New York en 1875 par une émigrée russe, Helena Petrovna Blavatsky, médium piquée de religions orientales, et un vétéran de la guerre de Sécession passionné d’occultisme, le colonel Henry Steel Olcott, cette société s’était donné pour mission de réunir ce que l’Occident avait séparé : science et religion, religions entre elles, communautés humaines, nature et culture. Elle entendait notamment rivaliser avec le christianisme, qui s’était révélé incapable de résister aux attaques portées à ses dogmes par le darwinisme et la pluralité religieuse. La doctrine théosophique, également baptisée « spiritualité » et à laquelle le bouddhisme fut rapidement assimilé, était ainsi pensée contre le modèle du christianisme : il s’agissait non plus de « dogmes », mais de « lois naturelles », non plus de hiérarchies autoritaires mais de « fraternités universelles », non plus de rituels mais de « techniques de l’esprit ». Le génie des auteurs théosophes fut ainsi de gommer toute ressemblance entre les pratiques chrétiennes et les pratiques bouddhiques. Ainsi le christianisme put-il être rangé dans la catégorie « religion » et le bouddhisme lui échapper, quoi qu’il arrive.,,Là aussi c'est risible, le réductionnisme du scientisme du XIXème siècle n'a plus rien à voir avec les exigence de scientificité de ce qui présente souvent un enjeu thérapeutique comme dans le cas de la pleine conscience qui permet de réduire l'anxiété et de limiter le recours à des médicaments. Faire des études en double aveugle avec une cohorte qui pratique la méditation et une autre qui va jouer au scrabble pour voir si la méditation produit des effets davantage positifs que le srabble n'a encore une fois rien à voir avec la pseudo-science de la théosophie où l'on faisait tourner les tables en interrogeant les esprits. Rattacher le bouddhisme à la théosophie n'est qu'un sophisme visant à décrédibiliser le bouddhisme. Qui est dupe?,,,La religion, pourvu qu’elle vienne d’ailleurs,,,Pourquoi dénier la religiosité du bouddhisme ? Non seulement parce que cela rapporte, mais également parce qu’il est difficile de faire autrement. Dénier la religiosité bouddhique est un réflexe culturel occidental. Nous sommes en effet toujours prisonnier du contexte idéologique ayant prévalu à sa constitution comme objet intellectuel au xixe siècle. Le mot « bouddhisme » entraîne dans son sillage la polémique antichrétienne qui a historiquement coïncidé avec son invention. Aussi s’agit-il d’une notion tout aussi idéologique que descriptive, se définissant en creux contre le christianisme, non seulement dans les discours, mais également dans les pratiques. De fait, le mot « bouddhisme » fonctionne comme un laisser-passer pour la pratique décomplexée de ce que l’on appelle par ailleurs la « religion ». Ce qui est généralement considéré comme « religieux » s’en trouve en effet soudainement dédouané dès lors que les mots « bouddhisme » ou « méditation » y sont attachés. Revendiquer le bouddhisme, c’est ainsi se donner le droit de pratiquer une religion de manière légitime, sans en avoir l’air.,,,

Lorsque des gens viennent au Dojo et demande si le bouddhisme zen est une religion, nous avons coutume de répondre que par certains aspects c'est une religion et que par d'autres aspects ce n'en est pas une. Si c'est une religion c'est une religion différente des autres. Si ce n'est pas une religion c'est parce que c'est d'abord une pratique qui peut se concilier avec toutes les religions ou absence de religion que vous souhaitez à partir du moment où vous acceptez quelques rituels comme chanter ensemble ou bruler de l'encens. Je ne vois pas en quoi un anti-christianisme bouddhique serait illégitime? Le bouddha nous demande de renoncer à la vie éternelle, d'être à nous même notre propre lanterne. Il nous demande d'être bienveillant mais pas de croire en lui ni d'avaler aucune couleuvre du type virginité de Marie, mère de Jésus. Et si il devait y avoir des couleuvres dans le bouddhisme, nous ne sommes nullement obligé d'y croire. Pour le dalaï-Lama, le Mont Sumeru n'est pas au centre du monde contrairement à ce qu'affirme de nombreux textes bouddhistes. A aucun moment Marion Dapsance n'accepte de reconnaitre que la méditation pourrait apporter des bienfaits à la civilisation occidentale et qu'il n'existe aucun équivalent dans le christianisme. Elle ignore superbement en quoi consiste la méditation dont elle dit qu'elle consiste à ne penser à rien. Libre à elle d'ignorer le monde invisible et ce qui se passera à sa propre mort dans une posture de déni total comme si il lui était évident qu'à sa mort il ne se passera rien ou qu'elle rejoindra la lumière christique. Personne ne peut savoir avec certitude ce qui se passera mais chacun est libre de choisir les options qui lui semblent les plus judicieuses de son vivant. Liberté de culte doit nécessairement rimer avec liberté de conscience. Libre à elle de mésinterpréter le bouddhisme en occultant le pluralisme d'attitudes, de pratiques, de traditions hétérogènes et d'opinions à l'intérieur du bouddhisme. Et puis, de l'intérieur du bouddhisme, il n'est pas interdit d'en critiquer les dérives. Nous serions les premier à nous offusquer si la méditation devenait obligatoire à l'école ou dans les entreprises. Dois-je rappeler que le livre zen en guerre a été écrit par un moine bouddhiste qui critique sa propre tradition sans la renier?

Les Enseignements D'un Maître Zen - Au Fil Du Présent Éternel - Dokushô Villalba

J'avoue mon incompréhension devant des passages comme celui-ci:

-Regarde! Le corps c'est la coque de la noix, la pulpe c'est la conscience. Dans une noix de coco verte la conscience est collée à l'écorce mais dans une noix mûre, dans un être mûr, la conscience s'est décollée de l'écorce. C'est pour cette raison que l'écorce peut ouverte sans que la pulpe soit abîmée. Le corps d'un être mûr peut être brisé, sa conscience reste intacte.

Autrement dit le but de la pratique vu comme une ascèse, selon Dokushô Villalba  c'est de murir pour que la conscience reste intacte au moment de la mort. De tels propos chez un maître chrétien ou hindouiste ne me choqueraient pas. Dokushô Villalba est un disciple de Deshimaru et Deshimaru se plaignait que certains de ses disciples confondent christianisme hindouisme et bouddhisme. Ce qui m'étonne c'est que personne ne dise rien, pas la moindre critique nulle part. Je reconnais que, par ailleurs, Dokushô Villalba dit beaucoup de choses qui me semblent justes et il est probable que sa pratique soit authentique... et que le contenu doctrinal de sa pensée importe peu. Mais dans ce cas quel intérêt de lire ce livre? Autant ne lire que Dogen.

Dans le Bendowa:

Question : "certains disent : (...) Si nous savons que dans nos corps, il y a cette nature du cœur au delà de l’ apparaitre et du disparaitre, nous considérons celle-ci comme notre nature originelle. Tandis que le corps qui n'est qu'une figure provisoire, meurt ici et renait là (...) le cœur lui est permanent; il ne doit subir aucune altération dans le passé, le présent et le futur (...) et quand ce corps arrive à sa fin, ils entrent dans l'océan de la nature (...) à l'instar de la multitude des éveillés"

Réponse de Dogen: "L'opinion que vous venez d'exposer n'a absolument rien à voir avec la loi l'Eveillé. Cela n'est autre que l'opinion des senika, personnes hors de la Voie. (...) Comme je ne puis me taire, je vais tâcher avec compassion de vous sauver de cette opinion tordue. Sachez-le, dans la Loi de l'Eveillé, il est dit que le corps et le cœur ne font qu'un dès l'origine et que la nature et l'aspect ne sont pas deux choses distinctes. (...) comprenez  le fait que le cycle des naissances et des morts n'est autre que le Nirvana. (...) la multitude des existants, tout et chacun, ainsi que les dix mille phénomènes chatoyants comme la forêt drue ne sont autre qu'un seul cœur.
Maître Dôgen - Entretiens sur la Voie [Bendôwa] - Tome 6

Dogen rejette l'ascèse qui voudrait séparer le corps de l'esprit en mettant en avant le non-dualité du corps et de l'esprit mais aussi du samsara et du nirvana. Si vous posez zazen comme une technique qui permet de dissocier le corps de l'esprit et donc d'apprendre à mourir, comme sens même de l'existence  vous en fait un zazen souillé du désir d'atteindre le nirvana.

A la question qu'est-ce qui reste quand on s'est dépouillé du corps et du cœur? Il répond ailleurs l'homme originel qui ne cesse de pratiquer la voie et ici ce qui reste c'est la réalité chatoyante. Même si on traduit cœur par esprit, cet esprit n'est pas purement immatériel puisqu'il ne diffère en rien la réalité constituée des phénomènes apparaissant et disparaissant. 


Kodo Sawaki - Un zen vagabond - Textes et commentaires

Je lisais récemment sur un blog ceci: "Dans leurs recherches, pour les “scientifiques” spiritualistes l’Esprit précède la matière, et pour les scientifiques la matière précède l’esprit..." l'auteur de cet article passe sans transition du christianisme au bouddhisme comme si le bouddhisme était nécessairement spiritualiste... l'idée c'est que comme aujourd'hui le spiritualisme ne convainc plus personne il aurait besoin du renfort de la science ou des pseudo-sciences.  

Je défends l'idée qu'il y a un courant bouddhiste qui n'est pas spiritualiste. Par spiritualiste ou spirituel j'entends l'idée qu'il faudrait donner une importance capitale à l'esprit dans une optique sotériologique. L'ascétisme en est la version la plus caricaturale puisqu'en vous faisant souffrir vous purifiez votre corps au profit de votre âme. 

Le bouddhisme qui m'intéresse ne s'inscrit pas dans cette logique pour plusieurs raisons. 

La première c'est que le bouddha aurait essayé l'ascétisme et l'aurait rejeté au profit d'un juste milieu entre ascèse et hédonisme. C'est l'image de la corde de guitare qui si elle est trop tendue casse ou ne fait pas le son juste si au contraire elle est trop distendue. Le corps joue donc un rôle important qu'il ne faut pas négliger ni mépriser. Il faut prendre soin de son corps comme un musicien prend soin de son instrument (Jimi Hendrix n'est évidement pas un exemple à suivre). Ce que je trouve intéressant dans cette image c'est que le son n'existe pas en dehors du moment où le musicien joue de son instrument. Si on reste dans une logique sotériologique, le salut, il n'est pas dans un ailleurs, il s'entend dans l'instant présent.

La deuxième raison c'est que l'esprit ou l'âme ne préexiste pas à la naissance puisque l'esprit est lié à la conjonction d'agrégats. Cela ne signifie pas que l'on nait à zéro avec un esprit totalement vierge. L'hérédité joue un rôle important et le bouddhisme y ajoute le karma qui ne provient pas forcément de ses seuls parents. Familièrement on dirait qu'on se récupère des casseroles qui nous suivent tant qu'on ne s'en occupe pas. Il faut bien comprendre que le karma et les renaissances n'impliquent nullement une âme éternelle et indivisible. Nous sommes une pluralité d'éléments psychosomatiques qui se sont agrégés.  Ça pense en nous. 

"...nous en venons à comprendre que nos pensées ne sont ni le corps ni le je lui-même. Il serait plus juste de considérer nos pensées comme des sécrétions de notre cerveau, comme la salive est sécrétée par les glandes salivaires ou le suc gastrique par l'estomac" écrit Kosho Uchiyama et il ajoute "Au printemps, les bourgeons éclosent; à l'automne, les feuilles tombent. Tout cela, y compris notre soi, sont des expressions de la grande force vitale de la nature" chap 63
Si nous ne sommes pas dans une logique spiritualiste, nous ne sommes pas non plus dans une pure logique matérialiste. Difficile de nier la dimension naturaliste. Ce passage est un commentaire de la phrase de Kodo Sawaki qui dit :

"...quand nous abandonnons le je, nous devenons simplement le soi qui est relié à l'univers"
La question c'est de savoir si ce "soi" est spirituel? étant entendu que la force vitale ne la nature n'est pas nécessairement d'ordre spirituelle.  C'est là où ça se complique c'est que 
"L'approche de Sawaki Roshi est unique dans la tradition zen Soto, du fait de sa connaissance étendue et profonde du Yogacara"  Shohaku Okumura écrit cela après avoir écrit:
"Comme Dogen Zenji est devenu moine dans la tradition Tendai, il n'a probablement jamais étudié la théorie Yogacara. Yogacara et Tendai ne s'entendent pas: Tendai considère le Yogacara comme un Mahayana utilitaire, de seconde catégorie. Les spécialistes ne trouvent pas de références aux textes ou expressions Yogacara dans les écrits de Dogen."
Ce qui me surprend c'est que Kodo Sawaki et tous ses disciples comme Deshimaru revendiquent une affiliation à la pensée de Dogen mais sans pour autant s'abstenir d'y ajouter des éléments hétérodoxes. Ça n'enlève rien à la pertinence des propos de Sawaki ou Deshimaru mais on est loin d'une orthodoxie Dogénienne. Pour ajouter encore un peu de complexité, on pourrait penser que Dogen rejetant le courant Yogacara défendrait une position Madhyamaka qui insisterait sur la vacuité opposé à l'esprit et bien non ce serait trop simple. Au contraire Dogen encense l'école de l'"il-y-a" qui selon Yoko Orimo "affirme l'existence de toutes les entités dans le triple monde du passé, du présent et du futur" et renvoie au livre des commentaire du traité de l'Abbidharma. Bref il faudra creuser encore un peu pour comprendre les positions très particulière de Dogen qu'on ne retrouve pas forcément chez ceux qui revendiquent une filiation avec celui-ci. 

Pour revenir aux raisons qui font qu'on échappe au spiritualisme chez Kodo Sawaki c'est troisièmement, l'idée que Zazen ne sert à rien. Si zazen ne sert à rien on peut se demander si on peut encore parler de pratique sotériologique ce qui impliquerait de faire quelque chose pour se sauver.

"Zazen est une pratique au-delà du monde, qui n'a rien à voir avec nos espoir de récompense" écrit Shohaku Okumura "zazen ne devrait pas être souillé par nos désirs - même le désir de l'éveil ou de devenir un bouddha"

Pour revenir au livre proprement dit qui est très bien. Je relèverais deux aspects qui m'ont intéressés. le premier concerne le sujet zen en guerre qui n'est pas éludé par Shohaku Okumura. Il dit lui-même qu'il a longtemps été dans une attitude critique à l'égard de ceux qui se sont impliqués durant la période de guerre au Japon. Il a donc fait un choix dans l'enseignement de Kodo Sawaki en ne choisissant que le meilleur de son enseignement et en laissant de côté le reste qu'il n'ignore pas. Ceci explique que le livre soit très bien.

 L'autre aspect que je trouve intéressant c'est le côté vagabond de Sawaki qui s'explique par un refus d'un zen institutionnel au profit de relations personnelles proches avec ses disciples. Il n'est donc pas question pour lui de s'abriter du haut de sa chaire derrière un jargon bouddhiste loin de la vie des laïcs. C'est l'autre point fort de ce livre.

Caricature

 Dans mon imaginaire, vu de l'extérieur, la méditation était associé à une forme de nombrilisme comme en témoigne cette affiche mais vu de l'intérieur je me sens plus proche d'Elisabeth Larivière .


"Au fur à mesure des années de pratique, je me rends compte que la dimension politique de la méditation devient de plus en plus important pour moi. L’élargissement de la conscience qu’opère la pratique, le fait de se décoller de ses seules préoccupations personnelles, d’apprendre à mieux voir et à mieux écouter, à écouter globalement et avec son cœur, à être présent plus amplement et plus intensément à tout ce qui est, font partie des fruits de l’entraînement au long cours.

https://www.ecole-occidentale-meditation.com/et-si-la-meditation-pouvait-faire-renverser-un-gouvernement/

Je ne pense pas que le bouddhisme soit par nature engagé socialement mais je pense que le bouddhisme n'existe pas en dehors de ce que nous en faisons. 

Je ne sais pas si il est préférable de penser que le zen ne doit servir à rien ou bien s'il doit être engagé socialement. Cela dépend des contextes et situations.

Taisen Deshimaru - Le Livre des Sutras - Soto Zen

Autant le livre dont je parlais précédemment est de peu de valeur autant celui-ci n'a pas de prix. J'ai rarement eu entre les mains un livre aussi beau. Et comme, ainsi va la vie des livres, celui-ci est destiné à rejoindre une plus grande bibliothèque que la mienne. Je ne pourrais donc m'enorgueillir d'avoir eu ce livre très longtemps dans ma bibliothèque. Je souhaitais malgré tout en garder une trace photographique... et j’essaierais d'en trouver un exemplaire identique au niveau du contenu mais de moindre valeur en tant qu'objet. Il me semble que celui -ci n'existe qu'à une centaine exemplaires. Cette édition a été offerte en fuse par un moine du nom de Guiseppe Ku Gen Figini en 1981 à Deshimaru.
Il regroupe des sutras en français et en anglais d'un côté et la version originale de l'autre côté du papier. Il regroupe aussi des textes de Dogen ainsi que des poèmes de différentes provenances dont ceux de Deshimaru lui-même. Ils ne sont pas indiqués dans la table des matières ci-dessous mais sont des suppléments. Je suppose qu'il s'agit des textes auxquels Deshimaru tenait le plus. Les textes dans leur sobriété sont d'une saisissante beauté. Quel trésor! Heureusement que je ne vais pas le garder sinon j'avoue que j'aurais pu m'y attacher.












Yu Li - La chair comme tapis de prière

Quel homme au cœur droit ne brûlerait de réformer des mœurs si dégradées! S'il s'avise d'écrire un traité de morale pour persuader seulement les gens d'être bons, pas besoin de dire que personne ne dépensera un sol pour acheter son livre et quand même un généreux donateur en aurait payé l'impression, le brochage, la reliure et l'aurait offert gracieusement au public, quand les donataires ne le déchireraient pas pour s'en faire des papillotes ou pour allumer leur pipe, qui daignerait y jeter un coup d’œil. Mieux vaut donc résolument appâter le lecteur par des histoires licencieuses, de sorte que quand il se sera laissé prendre par ce qui le flatte, soudain on l'effrayera par quelques mots qui placés en coups d'épingle, lui arracheront cet aveu : "C'est donc ainsi que celui qui s'applique aux voluptés, à la longue finit par devenir un fantôme au milieu des beautés qui passent comme les pivoines; ce n'est que renom vide, on y perd le réel vrai". Peu à peu on lui soulignera un ou deux points de telle sorte que quand il en arrivera au châtiment clair et net, celui-ci lui apparaîtra comme la rétribution nécessaire à la luxure"..."Dès lors, il hésitera à prendre le chemin du mal, à s'endetter, sous peine de devoir rembourser au centuple"

"Allez chercher la plus belle femme de la terre... Quand vous serez parvenu à l'illumination à force de prier sur ce tapis de chair, vos yeux s'ouvriront sur la réalité."

"Pour étudier le bouddhisme, il faut passer par des amertumes, il faut sans cesse se fatiguer la chair, et mortifier son corps de sorte que le froid et la faim vous oppressent chaque jour jusques à tant que les pensées de luxure ne puissent naître; alors les jours de pureté succèdent aux jours d'impureté; et naturellement on deviendra Bouddha sans qu'il soit même besoin de lire les soûtras"

"Si l'on se nourrit sans labourer et si l'on se vêt sans tisser (...) alors à force de manger tout son soûl la pensée vagabonde; à force d'avoir son corps au chaud, on aime le sommeil. Si la pensée vagabonde, elle rencontre des objets voluptueux et si l'on dort, les désirs s'éveillent dans les songes. Etudierait-on beaucoup , on n'en deviendrait davantage bouddha"

"Pour étudier le bouddhisme, il faut s'abstenir des plaisirs et avoir erré parmi les dix-huit degrés de la prison terrestre."

"Même s'il n'y a pas de ciel, on ne peut pas ne pas considérer le ciel comme l'échelle vers le bien: et même s'il n'y a pas d'enfer, on ne peut pas ne pas considérer l'enfer comme une chute dans le mal et son châtiment."

"Priez assis sur un tapis de chair
Il ne tardera pas à venir le temps du remords
Ne vous lamentez pas sur un cercueil déjà clos"

-----------------------------------------------

Un livre qui ne vaut guère plus que le prix que je l'ai acheté (d'occasion). Les histoires licencieuses, souvent un peu lassantes, ont au moins le mérite d'être drôles. Il est bien curieux de voir que l'homosexualité et la pédophilie soient si facilement accepté au cœur même du bouddhisme entre moines anciens et novices. La rencontre du personnage principal avec un maître tchan au début et à la fin du livre restent mes moments préférés. Je tiens à préciser qu'au moins, eux, ils ne couchent pas ensemble.