Kodo Sawaki - Un zen vagabond - Textes et commentaires

Je lisais récemment sur un blog ceci: "Dans leurs recherches, pour les “scientifiques” spiritualistes l’Esprit précède la matière, et pour les scientifiques la matière précède l’esprit..." l'auteur de cet article passe sans transition du christianisme au bouddhisme comme si le bouddhisme était nécessairement spiritualiste... l'idée c'est que comme aujourd'hui le spiritualisme ne convainc plus personne il aurait besoin du renfort de la science ou des pseudo-sciences.  

Je défends l'idée qu'il y a un courant bouddhiste qui n'est pas spiritualiste. Par spiritualiste ou spirituel j'entends l'idée qu'il faudrait donner une importance capitale à l'esprit dans une optique sotériologique. L'ascétisme en est la version la plus caricaturale puisqu'en vous faisant souffrir vous purifiez votre corps au profit de votre âme. 

Le bouddhisme qui m'intéresse ne s'inscrit pas dans cette logique pour plusieurs raisons. 

La première c'est que le bouddha aurait essayé l'ascétisme et l'aurait rejeté au profit d'un juste milieu entre ascèse et hédonisme. C'est l'image de la corde de guitare qui si elle est trop tendue casse ou ne fait pas le son juste si au contraire elle est trop distendue. Le corps joue donc un rôle important qu'il ne faut pas négliger ni mépriser. Il faut prendre soin de son corps comme un musicien prend soin de son instrument (Jimi Hendrix n'est évidement pas un exemple à suivre). Ce que je trouve intéressant dans cette image c'est que le son n'existe pas en dehors du moment où le musicien joue de son instrument. Si on reste dans une logique sotériologique, le salut, il n'est pas dans un ailleurs, il s'entend dans l'instant présent.

La deuxième raison c'est que l'esprit ou l'âme ne préexiste pas à la naissance puisque l'esprit est lié à la conjonction d'agrégats. Cela ne signifie pas que l'on nait à zéro avec un esprit totalement vierge. L'hérédité joue un rôle important et le bouddhisme y ajoute le karma qui ne provient pas forcément de ses seuls parents. Familièrement on dirait qu'on se récupère des casseroles qui nous suivent tant qu'on ne s'en occupe pas. Il faut bien comprendre que le karma et les renaissances n'impliquent nullement une âme éternelle et indivisible. Nous sommes une pluralité d'éléments psychosomatiques qui se sont agrégés.  Ça pense en nous. 

"...nous en venons à comprendre que nos pensées ne sont ni le corps ni le je lui-même. Il serait plus juste de considérer nos pensées comme des sécrétions de notre cerveau, comme la salive est sécrétée par les glandes salivaires ou le suc gastrique par l'estomac" écrit Kosho Uchiyama et il ajoute "Au printemps, les bourgeons éclosent; à l'automne, les feuilles tombent. Tout cela, y compris notre soi, sont des expressions de la grande force vitale de la nature" chap 63
Si nous ne sommes pas dans une logique spiritualiste, nous ne sommes pas non plus dans une pure logique matérialiste. Difficile de nier la dimension naturaliste. Ce passage est un commentaire de la phrase de Kodo Sawaki qui dit :

"...quand nous abandonnons le je, nous devenons simplement le soi qui est relié à l'univers"
La question c'est de savoir si ce "soi" est spirituel? étant entendu que la force vitale ne la nature n'est pas nécessairement d'ordre spirituelle.  C'est là où ça se complique c'est que 
"L'approche de Sawaki Roshi est unique dans la tradition zen Soto, du fait de sa connaissance étendue et profonde du Yogacara"  Shohaku Okumura écrit cela après avoir écrit:
"Comme Dogen Zenji est devenu moine dans la tradition Tendai, il n'a probablement jamais étudié la théorie Yogacara. Yogacara et Tendai ne s'entendent pas: Tendai considère le Yogacara comme un Mahayana utilitaire, de seconde catégorie. Les spécialistes ne trouvent pas de références aux textes ou expressions Yogacara dans les écrits de Dogen."
Ce qui me surprend c'est que Kodo Sawaki et tous ses disciples comme Deshimaru revendiquent une affiliation à la pensée de Dogen mais sans pour autant s'abstenir d'y ajouter des éléments hétérodoxes. Ça n'enlève rien à la pertinence des propos de Sawaki ou Deshimaru mais on est loin d'une orthodoxie Dogénienne. Pour ajouter encore un peu de complexité, on pourrait penser que Dogen rejetant le courant Yogacara défendrait une position Madhyamaka qui insisterait sur la vacuité opposé à l'esprit et bien non ce serait trop simple. Au contraire Dogen encense l'école de l'"il-y-a" qui selon Yoko Orimo "affirme l'existence de toutes les entités dans le triple monde du passé, du présent et du futur" et renvoie au livre des commentaire du traité de l'Abbidharma. Bref il faudra creuser encore un peu pour comprendre les positions très particulière de Dogen qu'on ne retrouve pas forcément chez ceux qui revendiquent une filiation avec celui-ci. 

Pour revenir aux raisons qui font qu'on échappe au spiritualisme chez Kodo Sawaki c'est troisièmement, l'idée que Zazen ne sert à rien. Si zazen ne sert à rien on peut se demander si on peut encore parler de pratique sotériologique ce qui impliquerait de faire quelque chose pour se sauver.

"Zazen est une pratique au-delà du monde, qui n'a rien à voir avec nos espoir de récompense" écrit Shohaku Okumura "zazen ne devrait pas être souillé par nos désirs - même le désir de l'éveil ou de devenir un bouddha"

Pour revenir au livre proprement dit qui est très bien. Je relèverais deux aspects qui m'ont intéressés. le premier concerne le sujet zen en guerre qui n'est pas éludé par Shohaku Okumura. Il dit lui-même qu'il a longtemps été dans une attitude critique à l'égard de ceux qui se sont impliqués durant la période de guerre au Japon. Il a donc fait un choix dans l'enseignement de Kodo Sawaki en ne choisissant que le meilleur de son enseignement et en laissant de côté le reste qu'il n'ignore pas. Ceci explique que le livre soit très bien.

 L'autre aspect que je trouve intéressant c'est le côté vagabond de Sawaki qui s'explique par un refus d'un zen institutionnel au profit de relations personnelles proches avec ses disciples. Il n'est donc pas question pour lui de s'abriter du haut de sa chaire derrière un jargon bouddhiste loin de la vie des laïcs. C'est l'autre point fort de ce livre.

Caricature

 Dans mon imaginaire, vu de l'extérieur, la méditation était associé à une forme de nombrilisme comme en témoigne cette affiche mais vu de l'intérieur je me sens plus proche d'Elisabeth Larivière .


"Au fur à mesure des années de pratique, je me rends compte que la dimension politique de la méditation devient de plus en plus important pour moi. L’élargissement de la conscience qu’opère la pratique, le fait de se décoller de ses seules préoccupations personnelles, d’apprendre à mieux voir et à mieux écouter, à écouter globalement et avec son cœur, à être présent plus amplement et plus intensément à tout ce qui est, font partie des fruits de l’entraînement au long cours.

https://www.ecole-occidentale-meditation.com/et-si-la-meditation-pouvait-faire-renverser-un-gouvernement/

Je ne pense pas que le bouddhisme soit par nature engagé socialement mais je pense que le bouddhisme n'existe pas en dehors de ce que nous en faisons. 

Je ne sais pas si il est préférable de penser que le zen ne doit servir à rien ou bien s'il doit être engagé socialement. Cela dépend des contextes et situations.