Maître Dôgen - Le cœur en tant que tel, voilà l'Eveillé [Sokushin zebutsu] - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 5

D'une part je me posais la question comment Houei-neng en tant que Patriarche était perçu par Dogen et comment était interprété par celui-ci une citation comme "rester longtemps assis ne fait qu'entraver le corps, sans aucun profit pour l'esprit" et d'autre part que vise la critique que fait Dogen du naturalisme. La réponse se trouve dans ce texte.

Le naturalisme est l'opinion selon laquelle "la grande Voie se trouve dans notre corps dès à présent, et il est facile de savoir comment elle est"(...) "Même si l'aspect du corps est brisé, la connaissance spirituelle en sort indemne. C'est comme si le propriétaire sortait sain et sauf de sa maison en feu"(...)"Elle demeure en permanence d'éon en éon." Ce qui est visé ici c'est l'école du sud pour qui il suffit de "Voir la nature" pour "réalisé l'état de l’Éveillé". La pratique peut alors sembler très secondaire voire inutile.

Pour répondre à cette question Dogen va utiliser un texte du Recueil de la transmission de la lampe de l'ère Keitoku, notamment les propos du maïtre de la nation Nanyô Echû (Nanyang Huizhong).

"En rassemblant une foule de trois ou cinq cents personnes et en regardant cette grande assemblée, ils disent :"voilà l'enseignement essentiel du sud" Le "Sûtra de l'estrade" à la main, ils le modifient à leur gré en y insérant des récits vulgaires et en supprimant la sainte signification du texte. Ainsi troublent-ils les jeunes générations qui les suivent. Comment pourraient-ils alors perpétuer l'enseignement oral (de l’Éveillé)?"
 Le "Sûtra de l'estrade" compile une série de paroles attribuées à Houei-neng. Yoko Orimo dans les notes en bas de page écrit que ce texte est "compilé, non pas par le sixième patriarche lui-même, mais par ses disciples, on en compte au moins trois versions différentes comportant bien des rajouts et des modifications apportés par la postérité." On peut donc supposer que la phrase ""rester longtemps assis ne fait qu'entraver le corps, sans aucun profit pour l'esprit" est peut-être un ajout d'un disciple de Houei-neng qui n'aimait pas beaucoup la méditation. Dogen ne remet pas pour autant en cause l'idée centrale du "Sûtra de l'estrade" : "Le cœur en tant que tel, voilà l'Eveillé", seulement il lui donne un autre sens que celui des disciples de Houei-neng.

"Le cœur en tant que tel, voilà l’Éveillé" désigne la multitude des éveillés qui déploie le cœur de l'Eveil, pratique la voie, réalise l'Éveil et entre dans le Nirvâna. Qui n'a pas encore déployé le cœur de l'Éveil, ni pratiqué la Voie, ni réalisé l'Éveil, ni n'est entré dans le Nirvâna n'est pas "le cœur en tant que tel, voilà l'Éveillé". Déployer le cœur de l'éveil, pratiquer la Voie et attester l'Éveil même un instant infinitésimal, est "Le cœur en tant que tel, voilà l'Éveillé"(...) Ainsi ceux qui disent que pratiquer la Voie durant de longs éons pour devenir éveillé n'est pas "Le cœur en tant que tel, voilà l’Éveillé" n'ont jamais vu, ni connu, ni étudié "Le cœur en tant que tel, voilà l’Éveillé". Ils n'ont pas vu le vrai maître qui dévoile "Le cœur en tant que tel, voilà l’Éveillé".
Dogen reconnait donc bien  Houei-neng comme un Patriarche mais critique l'interprétation qui est faites par les disciples de ce dernier . "Le cœur en tant que tel, voilà l’Éveillé" n'a pas de sens en dehors de la pratique. Que la pratique se fasse dans un un instant infinitésimal (subitisme) ou bien durant de longs éons (gradualisme) ne change rien. Pour Dogen, Le naturaliste qui pense qu'il n'y a rien à faire parce que tout est déjà là, se trompe grandement. Il ne faut pas oublier que lorsqu'il était jeune sa question centrale était : «Dans l'enseignement bouddhique, il est dit que tous les êtres possèdent originellement la nature du Bouddha. S'il en est ainsi, pourquoi faut-il s'entraîner et adopter des pratiques ascétiques pour atteindre l'état de Bouddha?». La question demeure néanmoins. 

 

2 commentaires:

  1. Parce que, comme le dit Dogen dans le shobogenzo zuimonki "la question de la vie et de la mort est la grande affaire" et que si l'on ne pratique pas, la vie passe comme un rêve. Pour Deshimaru pratiquer permet de s'harmoniser avec l'ordre cosmique. Pour Mathieu Ricard, pratiquer permet de devenir un meilleur être humain.
    Parce que pratiquer permet d'être présent ici et maintenant.

    Cependant, on dit aussi dans le zen qu'il faut pratiquer sans but ni profit. Beaucoup de gens viennent au Dojo parce qu'ils ont lu ou entendu dire que cela augmentait le bien-être personnel. Souvent, ces gens là, ne persévèrent pas dans la pratique. Même si des études scientifiques prouvent que la méditation procure réellement un plus grand bien être, la voie n'est pas toujours, pour tous les pratiquants, un long fleuve tranquille. Sans une foi profonde, ceux qui viennent seulement pour augmenter leur bonheur personnel abandonnent à la première difficulté rencontrée.

    Ce qui est curieux, c'est que contrairement aux autres religions la foi nait de l'expérience de la liberté intérieure retrouvée grâce à la pratique de zazen. Lorsque les effets bénéfiques se font sentir, cela renforce la foi en zazen ce qui crée un cercle bénéfique et la pratique se fait elle-même sans y penser.

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