Taisen Deshimaru - Le Zen de Dogen - Enseignement Oral - Tome 7

"Si une seule personne pratique véritablement zazen et abandonne l'ego, à ce moment-là, toutes les plantes, terres, bois, champs s'illuminent et brillent d'une lumière intense. Les montagnes, les rivières, les champs, les arbres, et même les petits cailloux retrouvent leur esprit, donnent toute leur énergie et aident le cosmos entier. Ainsi les personnes qui pratiquent zazen aident toute la nature et toutes les existences"

On sent fortement, à partir de Deshimaru jusqu'à Roland Rech le recentrage de Mujo Seppo (La prédication de la loi faite par l'inanimé) sur zazen. C'est en effet une interprétation possible à partir de Dogen mais n'est-ce pas un peu réducteur? Dogen cite le maître de la nation:

"La prédication constante faite par l'inanimé s'embrase, et ne s'interrompt jamais".

 Zazen peut permettre de se synchroniser avec les êtres inanimés mais ceux-ci s'éveillent en permanence simultanément que l'on fasse zazen on non. Il n'est pas question de dire que zazen est moins important chez Dogen que chez Deshimaru seulement, chez Deshimaru zazen est central alors que chez Dogen, il n'y a pas de centre ou du moins pas un centre unique. Zazen, la pratique de la voie dans la vie ordinaire, les préceptes, l'étude, les rituels, la prédication de la loi faite par les êtres inanimés peuvent tour à tour être considéré comme le centre. Toujours dans le texte Mujo Seppo Dogen écrit :
"Voici l'enseignement essentiel : c'est les saints qui peuvent entendre la prédication de la Loi faite par l'inanimé, et c'est ce moine qui peut entendre la prédication de la Loi faite par le maître de la nation. Etudiez et méditez ce principe de la Voie jour après jour, mois après mois"
Le monde des saints n'est pas le monde des moines qui n'est pas le monde des laïcs. Ces différents mondes ne sont pas séparés, ni sans rapport, ni indépendants. Ils n'ont pas le même centre.
"Si vous avez tout à fait clarifié la manière de prêcher la Loi chez l'inanimé, pénétrez à fond par expérience quelle devrait être l'écoute chez les saints. Si vous y êtes parvenus, explorez le domaine des saints. Puis étudiez la pratique quotidienne qui perce les cieux au-delà de la démarcation du saint et du profane."

On n'insistera jamais assez sur la dimension autant expérientielle qu'intellectuelle du Shōbōgenzō. Même si vous n'êtes pas un saint vous pouvez explorer le domaine des saints, exotisme et dépaysement garantis. Puis étudiez la pratique quotidienne dans la vie ordinaire et c'est encore un autre monde qui apparait. Le pluralisme de Dogen apparait à de nombreux endroits dans le Shōbōgenzō ainsi que dans d'autres textes. J'y reviendrais.

Par pluralisme j'entends  la coexistence et  l'interaction de mondes différents sans qu'il y ait pour autant nécessairement conflit, assimilation, réduction de l'Autre au même. Le pluralisme s'oppose au monisme qui considère que le monde est une totalité close constitué d'une seule substance. Il s'oppose au relativisme pour qui il n'existe pas de vérité absolue. Un pluraliste considère que l'on peut toujours postuler un absolu, un monde qui contiendrais tous les mondes mais celui-ci n'est pas atteignable soit qu'il contiendrait un nombre infini de mondes soit qu'il serait vide. "Le réaliste résistera à conclure qu'il n'y a pas de monde; l'idéaliste résistera à conclure que toutes les versions en conflit décrivent des mondes différents" écrit Nelson Goodman dans Manières de faire des mondes. Il ajoute : "le philosophe est comme le séducteur, il se retrouve toujours coincé avec rien ou trop". Le "rien" ne fait pas peur à Dogen. Le "trop", soit Dogen le critique comme étant hors de la voie, soit il le thématise négativement à la manière de la théologie négative

"Sachez-le, les montagnes se trouvent hors de la sphère humaine, hors de la sphère des hauts cieux. Ne considérez ni ne voyez les montagnes selon la mesure de l'entendement humain" écrit Dogen dans Montagnes et rivières comme sûtra [Sansuikô]
 et un peu plus loin dans le même texte :
"L'étude consiste à savoir que ce sont les montagnes qui cachent les montagnes en se cachant"



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