Maître Dôgen - Instructions au cusinier zen [Tenzo Kyôkun] - 1237

Il s'agit, sans conteste, de l'un des plus beaux textes de Dôgen qui ne se trouve pas dans le Shobogenzo. Le livre aux éditions Gallimard (1994) dans la collection du promeneur est un bien bel objet, imprimé sur un beau papier qu'il est bien agréable de tenir en main. La traduction est de Janine Coursin. On le trouve également en intégralité sur internet dans une autre traduction : http://www.gourmet-vegetarien.com/Tenzo_kyokun.pdf

La première partie du texte insiste sur l'importance du Tenzo (cuisinier) dans un temple zen, importance qui n'a rien à voir avec celle de cuisinier dans d'autres contextes. Ce texte contribuera à faire du poste de tenzo l'un des plus important même encore de nos jours, même en France dans nos dojos, temples et centres zen.

"Cette responsabilité a de tout temps été confiée à des maîtres éclairés ayant l'esprit de la voie..."

Puis Dogen entre dans le détail des activités d'un cuisinier zen pendant vingt-quatre heures. Or ce qui est fascinant dans ce texte c'est précisément l'importance donné aux moindres détails.

"Traitez la nourriture avec autant de respect que si elle était destinée à la table de l'empereur. Ayez les mêmes égards pour tous les aliments qu'ils soient cuits ou crus"
"Quand vous lavez le riz ou les légumes, faites-le de vos propres mains, dans l'intimité de votre propre regard avec diligence et conscience, sans que votre attention ne se relâche un seul instant"(...)"Quand vous regardez le riz, voyez aussi le sable. Si votre regard va et vient en scrutant minutieusement les détails, sans que votre esprit se relâche, les Trois Vertus seront automatiquement dans leur plénitude..."

L'attention doit même se porter sur les ustensiles et pas seulement sur la nourriture, notamment sur leur propreté et leur rangement à la bonne place.

"Soyez attentionné envers les choses, ne les jetez pas négligemment."

et enfin le passage le plus intéressant étant donné le titre de ce blog:

"Quand vous faites la cuisine, ne regardez pas les choses ordinaires d'un regard ordinaire, avec des sentiments et des pensées ordinaires. Avec cette feuille de légume que vous tournez dans vos doigts construisez une splendide demeure de bouddha et faites que cet infime grain de poussière proclame sa Loi"
Le plus étonnant, c'est le parallèle entre l'attention portée aux choses et celle envers les personnes
"Il est important que votre esprit ne change pas selon la qualité de l'objet. Si votre esprit dépend des choses, c'est comme si vous changiez d'attitude et de langage selon la qualité de la personne que vous rencontrez. Un tel comportement n'est pas celui d'un homme qui pratique la voie.  "
 J'ai souvent entendu le reproche que l'on fait à Matthieu Ricard dans l'attention qu'il porte aux animaux comme si cette attention se faisait au détriment de celle que l'on porte aux êtres humains. Matthieu Ricard répond que non seulement elle ne se fait pas au détriment des êtres humains mais au contraire plus on est soucieux des animaux plus il y a de chance pour que l'on soit encore plus soucieux, si ce n'est autant, des êtres humains. Avec Dogen, on porte l'attention encore plus loin puis qu'il s'agit d'être également soucieux des choses inanimées. Il s'agit déjà d'une pensée écologique avant l'heure. Il est effrayant de penser que des gens puisse voir comme antinomique le fait d'être attentif aux choses, au monde comme aux êtres humains et à soi-même.

Puis le texte prend une tournure davantage autobiographique puisque Dogen raconte sa rencontre avec deux cuisiniers qui lui ont fait comprendre la notion d’irremplaçabilité dans la pratique de la Voie.

"Si je ne surveille pas moi-même la cuisine, ça ne sera pas bon"

A la question qu'est-ce que la pratique de la voie le cuisinier répond
"Il n'y a pas de trésor caché dans l'univers"
Dogen met en parallèle cette réponse avec un poème qui se termine par
"Le joyau du dragon noir que vous cherchez est ici et là, partout."

Être capable de voir le joyau du dragon noir ici et là, même dans les choses ordinaires, c'est ce qui fait la grandeur d'esprit du cuisinier qui doit aussi faire preuve de joie de vivre et de bienveillance.

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