Soûtra de l'Entrée à Lanka - Lankâvatâra

Les soûtras ne sont pas des textes faciles à lire mais sont pourtant incontournables. le "Lankâvatâra" est un Soûtra dit tardif (écrit entre la Ier et le IVéme Siècle) et donc considéré comme un apocryphe. Il faut donc essayer de le lire sans se poser la question de l’authenticité. Il est considéré comme prioritaire sur les autres soûtras par Bodhidharma, à tel point que ses disciples ont été appelés école Lankā. L'idée centrale est que "tout est esprit" autrement dit la conscience est la seule réalité. Prendre conscience de la nature de sa conscience permet de comprendre la nature de ses illusions et donc de s'éveiller c'est à dire d'accéder au réel tel qu'il est.

Le texte commence ainsi :

    "Ainsi ai-je entendu : en ce temps là le Bouddha se trouvait au bord de la mer, dans la citadelle de Lankâ, à la cime du mont Malaya, en compagnie de la grande assemblée des moines et de la grande assemblée des bodhidattvas. Ces derniers avaient tous réalisé les cinq catégories, les trois natures, les consciences et l'inexistence du soi. Parfaitement conscients que le monde extérieur était une perception au sein de leur esprit..."

  Le bouddha se propose d'exposer le Dharma à l'intention du seigneur de Lankâ, Râvana. Celui-ci s'empresse aussitôt de l'inviter à entrer à Lankâ. Le Bouddha use de ses pouvoirs pour faire apparaître des montagnes couvertes de joyaux divins et sur chaque montagne un Boudha, Ravana et une assemblée puis tout s'évanouit et Ravana comprend aussitôt que le monde des objets  sont comme des fictions conçues par chacun.

    "Ne pas être un sujet qui voit un bouddha, objet vu,et ne pas inventer de fictions, c'est cela "voir"


Le Bouddha, après s'être marré un bon coup, à la grande surprise de l'un de ses disciples, Mahâmati qui comprit peut-être qu'il ne fallait pas trop prendre au pied de la lettre ce qu'allait prononcer le Bouddha. Celui-ci autorisa Râvana à lui poser des questions. Râvana lui demanda alors quelle est la différence entre réalité et irréalité si tout est fictif. Le bouddha explique alors qu'il y a bien une différence entre la réalité (il suffit d'une graine pour produire une pousse puis tout un monde) et l'irréalité qui fonctionne de la même manière dans l'esprit (l'ignorance jouant le rôle de la graine) mais la différence entre les deux n'en n'est pas moins fictive car les choses et les êtres sont insubstantiels. Autrement dit : que rien n'ait de substance n'empêche pas de faire des différences entre les idées fictives par exemple entre le vase auquel le sot accorde une immense valeur et des cornes de lièvre.

Le deuxième chapitre est un exposé de tous les enseignements du Bouddha et c'est Mahâmati qui pose les questions qui sont fort nombreuses et auxquelles le Bouddha ne répondra pas vraiment à chacune et c'est bien dommage parce qu'il y en a des sympas comme celle-ci:

"Quelles sont les apparences sur lesquelles Bouddhistes et non-bouddhistes ne se contredisent pas?"

Le premier exposé du Bouddha porte sur la conscience ou plutôt les consciences qui naissent durent et cessent continûment et qui fonctionnent selon deux processus : la perception pure (comme un miroir) et la différenciation des objets fictifs (par la force des habitudes). Quand cesse les habitudes liés aux objets fictifs apparait la conscience fondamentale qui, elle, ne cesse pas. Si elle cessait, il faudrait une cause externe comme le pense les non-bouddhistes (et pourquoi pas un dieu pendant qu'on y est!).

    "Lorsqu'on sait que son propre corps et ses possessions, de même que l'espace ainsi occupé, ne sont que le champ d'expérience de la conscience fondamentale, il n'est plus de sujet pour se les approprier, plus aucun objet d'appropriation, et plus rien qui naisse, dure et disparaisse"

 Ensuite il entre un peu dans le détail pour expliquer comment le vent des objets vient soulever les vagues sur  l'océan de la conscience fondamentale. Cette conscience fondamentale n'est autre que la nature de bouddha. Mahâmati pose donc la question qui fâche : si la nature de bouddha ne cesse pas qu'est-ce qui la distingue du "soi" des non bouddhistes? Réponse : La vacuité essentielle qui est sans-naissance, sans caractéristiques, qui n'est autre que le renversement complet des schémas habituels de la conscience. C'est alors qu'inspiré par l'énergie spirituelle du Bouddha :

    "Même les forêts sur les montagnes, même les arbres et les herbes, les villes et les banlieues, et même les palais, pour ne rien dire des instruments de musique, chantent le Dharma dans les lieux fréquentés par les bouddhas du fait même de leurs bénédictions" (...)

 Les êtres inanimés qui chantent le Dharma [Mujô seppô] ne sont donc pas que des choses naturelles comme les herbes ou les cailloux mais également les villes, les palais... De cette idée que les êtres inanimés peuvent exprimer le Dharma on arrive assez rapidement à l'idée que les mots ne sont pas les seuls moyens d'exprimer le Dharma:

    "Mahâmati, dans certaines terres de bouddha, c'est la fixité du regard qui énonce le Dharma (...) ce pourra être un froncement de sourcil, un mouvement des yeux, un sourire, un bâillement, un raclement de gorge, un souvenir ou un mouvement - voilà autant de manières d'exprimer le Dharma (...) Les enseignements, Mahâmati, ne sont donc point transmis avec des mots dans ces mondes où les mouches, les fourmis et les autres insectes vaquent à leurs occupations sans échanges verbaux."

 Sur la page wikipédia consacrée à ce soutra on peut lire "il contient le passage de la fleur dans lequel l’école voit l’origine de son enseignement." Or la traduction que j'ai sous les yeux de ce soutra ne contient pas le passage de la fleur. Seule la citation ci dessus pourrait y faire penser. Le passage de la fleur auquel fait référence Wikiditnimportequoi se trouve cité dans le Shôbögenzo dans le chapitre intitulé "[Udonge] - La fleur d'Udumbara". Citation dont la traductrice, Yoko Orimo dit "c'est une libre citation d'un corpus apocryphe chinois"  le Sûtra de la délibération dialogique du grand roi Brahman avec l’Éveillé, chapitre «La trituration d’une fleur». Par libre citation, il faut bien comprendre que Dogen à modifié le texte original, d'où l’intérêt de regarder les textes d'un peu plus près qu'à hauteur de wikimachin surtout quand on fait encore partie des ignorants.

    "Le Vénéré des mondes reprit alors en vers:

    J'ai deux formes d'enseignements :
    Verbaux et conformes au réel.
    Aux ignorants je m'explique avec des mots;
    Aux  pratiquants je réserve le réel."

 C'est toujours cette tension entre les mots et le réel qui est fascinante. Il y a encore beaucoup de choses dans ce soûtra mais ce n'est mon sujet. Je signale quand même un plaidoyer pour les animaux et donc pour un régime végétarien d'une part parce que chaque être vivant devrait être aimé comme notre enfant unique et d'autre part parce que ceux qui mangent de la viande sentent mauvais. C'est dit.

2 commentaires:

  1. SB: Par libre citation, il faut bien comprendre que Dogen à modifié le texte original, d'où l’intérêt de regarder les textes ... surtout quand on fait encore partie des ignorants.
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    «À la pesée d une fleur la pesée de l Éveillé, à la pesée du cœur la pesée du corps.»

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  2. "Le Vénéré des mondes reprit alors en vers:

    J'ai deux formes d'enseignements :
    Verbaux et conformes au réel.
    Aux ignorants je m'explique avec des mots;
    Aux pratiquants je réserve le réel."
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    -> "Le rêve de la fleur de prunier : la transmission généalogique ("Shisho") chez Dōgen.
    De même que la conscience [de la non-objectivité des visions du rêve] manque pendant le rêve, mais apparaît après le réveil, de même la conscience [de la non-objectivité des visions du rêve] manque chez ceux qui n’ont pas été réveillés par le savoir de la réalité, mais apparaît chez ceux que ce savoir a réveillés. »
    ....
    Dōgen fait un détour par le Hushengsi ᥨᆣڝ du mont Damei(littéralement, le Prunier géant) avant d’aller rencontrer pour la première fois Rujing, le 1er du cinquième mois au Tiantongshan, auprès duquel il réalisera l’Éveil et obtiendra la reconnaissance
    autorisée de transmettre ses enseignements. C’est donc un songe prémonitoire de cette rencontre, qui marque un tournant décisif dans sa vie religieuse."
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    https://lelombrik.net/118311
    " avant de porter un jugement, il faut toujours attendre d'être mieux éclairé".

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