Ce texte nous offre un joyeux délire de Taisen Deshimaru de 1977 à Val d'Isère. Certains propos sur le karma se retrouvent mot pour mot dans Zen et vie quotidienne mais heureusement pas tous. Il avait déjà été publié en 1984 sous le titre "La Voix de la vallée : l'enseignement d'un maître zen / Taisen Deshimaru".
"La voix de la vallée" fait référence au bruit du torrent près du dojo à Val d’Isère ainsi qu'à un poème de Sotoba (Su Dongpo) qui évoque Mujo Seppo (la prédication de la loi par l'inanimé)
"La voix de la vallée donne une grande conférence,
La couleur de la montagne est le véritable corps purifié.
De minuit à l'aube j'entends quatre-vingt quatre mille poèmes
Comment, le jour venu, l'expliquer à autrui"
Dans ce livre Taisen Deshimaru est
suffisamment enthousiaste et enthousiasmant pour que ce livre soit une belle porte
d'entrée dans l'univers du zen. Cependant, il ne faudra pas y regarder de trop près
et ne pas s'attacher aux mots car par moment le texte est un peu confus.
exemple p78:
"... Ce karma du corps et de l'esprit, cet ego, est dépourvu de substance, de noumène. Notre karma, notre ego, est régi par la puissance cosmique fondamentale - de par son interdépendance avec toutes les existences. Aucune substance ne perdure postérieurement à la mort ; et pourtant notre karma est doté d'une existence phénoménale - et il se perpétue éternellement en vertu de son interdépendance avec toute les existences"(...)"Aussi notre désir, notre souhait est de perdurer éternellement, il en est ainsi. Notre conscience peut se perpétuer dans l'éternité du cosmos. Telle est la plus haute joie humaine - le nirvana vivant"
"Aucune substance ne perdure postérieurement à la mort"
Parce qu'elle perdure antérieurement? Je croyais qu'aucun phénomène n'était pourvu de
substance.
"Notre conscience
peut se perpétuer dans l'éternité du cosmos." Quelle est la nature de
cette conscience qui peut perdurer dans l'éternité? Si c'est seulement
une possibilité qu'elles sont les autres possibilités?
Il peut même sembler contradictoire:
D'une part Deshimaru dit p84 :
"Il est nécessaire d'oublier votre corps, de l'abandonner de telle sorte que seul l'esprit demeure."... "Oublier le corps. Ne laisser que l'esprit."
et d'autre part p170:
A Nyojo qui dit "Abandonnez le corps et l'esprit!" Dogen répond "Esprit et corps abandonnés"
Il faut comprendre que l'esprit qui doit être abandonné dont parle Dogen et Nyojo c'est la conscience personnelle et égotique et que l'esprit dont parle Deshimaru c'est ce que Dogen appelle l'océan de la bouddhéité mais Dogen évite d'en parler en terme d'esprit ou de conscience. Deshimaru dit cela d'une certaine façon p 164 :
"De même pendant zazen : lorsque nous entendons la voix de la vallée, à Val d'Isère, la rumeur du torrent pénètre complètement le corps, il n'y a plus que cela. L'esprit s'anéantit" "L'esprit devient absorbé dans le corps. La pensée s'éteint, et seule la conscience cosmique pénètre le corps"
Sans
vouloir être malveillant à l'égard de Philippe Coupey ni lui faire un
procès d'intention, je m'interroge sur la place qu'il occupe dans ce
livre. Je trouve personnellement l'histoire de Deshimaru et celle de
l'AZI assez passionnante. J'aurais bien aimé connaitre le nom des autres
personnes qui sont sur les photos p173 et pas seulement savoir où
se trouve Philippe Coupey sur la photo. Je m'interroge également sur la pertinence du commentaire de Philippe Coupey
Deshimaru
affirme p111 que du point de vue Karmique "les ancêtres n'influencent pas
leur descendance" et P. Coupey commente en disant "On est libre de ses
parents, on est libre de ses ancêtres... On est libre de son Karma".
Les ancêtres ce
sont ceux qui sont au-dessus du degré de grand-père dans l'arbre
généalogique et que très souvent nous n'avons pas connu contrairement à
nos parents. Si on peut nier les délires phylogénétiques d'un Freud (meurtre du père dans la horde primitive) par exemple, comme
influence karmique je doute que l'on puisse mettre les parents dans le
même sac sans pour autant tomber non plus dans les excès de la
psychanalyse qui se focalisait trop unilatéralement sur le trio
œdipien.
Deshimaru vise explicitement l'idée de "malédiction ancestrale":
'Le passé ancestral ne revient pas hanter les descendants"
En revanche dans le mondo p186 à la question:
Q- Pourquoi certains ont-ils un mauvais karma dès l'enfance
Deshimaru répond
M- A cause de vos ancêtres (...) avant ce monde-ci le karma ne surgit pas du néant. C'est comme la loi de Mendel (...) le fœtus retrace l'histoire de l'évolution. L'expérience de chacun est différente. Aussi différents karma se manifestent-ils.
On comprend donc qu'on peut difficilement résumer les propos de Deshimaru par "On est libre de ses ancêtres" L'idée centrale est évidemment que Zazen permet de dénouer ce karma. Seulement on ne dénoue pas ce karma en le niant mais au contraire en l'étudiant.
Depuis Mendel (1822-1884), la phylogénétique a énormément progressé je recommande la conférence ci dessous sur ce sujet:
Il y a aussi ce passage qui ne m'a pas échappé :
"Il est difficile d'accéder à la compréhension du vrai zen. Avec des maîtres authentiques, il n'y a pas de problèmes. Avec le maître Rinzai Eido, qui a un dojo à New York, il n'y a pas d'erreur possible"
La note en bas de page de Philippe Coupey précise qu'il s'agit bien d'Eido Tai Shimano, celui qui a été "forcé à démissionner en 2010 de ses responsabilités en raison d'un scandale sexuel impliquant l'une de ses disciples." Je doute que l'on puisse être un maître authentique et un "zen predator" qui ne se soucie pas de la souffrance de ses victimes. On ne ricanera pas du manque de probité de Deshimaru sur ce coup là mais désormais on restera prudent sur nos propres affirmations concernant les maîtres authentiques.
Au
moins on trouve de la matière a réflexion dans ce livre et ce sera
toujours mieux que Wikipédia parce que profondément incarné par Deshimaru.
On notera qu'en 1977 On pouvait recevoir le Kyosaku sans l'avoir demandé ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Deshimaru dit même que le Kyosaku est plus efficace quand on ne l'a pas demandé. Il est même question de rensaku. Il me semble que le rensaku a disparu chez tous les disciples de Deshimaru. [Edit : En fait non il n'a pas disparu, le maître que je fréquente, disciple de Deshimaru, l'a déjà donné mais ceux à qui il a donné le rensaku était consentant.]
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